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De Montréal à Paris : l’électron libre qui venait du froid

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Comment un enseignant « au profil atypique » se retrouve-t-il rattaché au CERI ? En quittant le Canada pour venir faire des études doctorales en France. Ma réputation d’enseignant atypique provient certainement du fait que je n’ai pas suivi le parcours « classique » d’un enseignant universitaire français. Rares en effet sont les universitaires français qui obtiennent leur doctorat à 41 ans ou qui ont exercé plusieurs métiers avant ou pendant leurs études universitaires. C’est mon cas. Ce côté atypique n’a toutefois jamais affecté ma légitimité et mon statut d’universitaire, ou ma place dans l’institution.

Je suis né et j’ai grandi à Montréal au Canada. Mon intérêt pour les affaires internationales a débuté alors que j’étais enfant. Je suivais l’actualité internationale dans les journaux et à la télévision mais aussi dans les livres d’école de mon frère aîné. Une histoire familiale compliquée a affecté mon évolution scolaire et explique ce parcours « atypique ». Plutôt que de suivre le parcours classique des jeunes qui se destinent à l’université, j’ai décidé de travailler. J’étais cependant convaincu que j’irai un jour à l’université sans savoir quand exactement. J’ai occupé quelques petits boulots avant de réaliser un rêve (en plus de celui de faire des études universitaires) : devenir casque bleu. 

Ce rêve d’être soldat de la paix date de ma prise de conscience vers 10-11 ans de ce qu’était un casque bleu, c’est-à-dire un soldat qui au lieu de faire la guerre essaye de l’empêcher. Pour devenir soldat de la paix, il faut toutefois rejoindre l’armée de son pays, l’Organisation des nations unies (ONU) n’ayant pas de forces militaires. Je me suis donc enrôlé comme artilleur en 1986. Après la phase d’instruction militaire de base (où j’ai fini premier de ma promotion), j’ai reçu une formation d’artilleur au Manitoba avant de finalement rejoindre mon régiment près de la ville de Québec. Cet enseignement militaire s’est poursuivi sur un obusier automoteur avant d’être interrompu, pour permettre à mon régiment de se préparer pour partir en opération à Chypre (où je suis resté de septembre 1987 à mars 1988). 

Mon séjour de six mois à Chypre comme casque bleu, malgré des moments d’ennui liés au calme de la situation, a confirmé mon intérêt pour le maintien de la paix et cet outil militaro-diplomatique de l’ONU. Cette expérience personnelle continue d’influencer mon approche du maintien de la paix qui peut se caractériser par un pragmatisme et un intérêt pour la vie des soldats qui servent dans ces missions. Lorsque les chercheurs et les chercheuses qui travaillent sur le peacekeeping évoquent la sociologie « par le bas », ils font surtout référence aux populations civiles. Pour moi, cela implique également la prise en compte des femmes et des hommes qui servent sous le casque bleu. Civils et militaires ont souvent des perceptions différentes de ce qu’il est possible de faire dans ces opérations de maintien de la paix. Les diplomates ne tiennent pas nécessairement compte des contraintes qui s’imposent aux militaires dans l’accomplissement de leurs tâches, ce qui reste au centre de mes intérêts de recherche car il est important de comprendre « d’où parlent » les acteurs du peacekeeping. Civils et militaires n’ont ni la même approche ni le même discours. L’influence qu’a eu sur moi l’expérience à Chypre s’est exprimée pendant mes études universitaires et plus tard dans mes enseignements et mes recherches. 

J’ai commencé mes études de science politique à l’Université de Montréal (UdeM) en 1991 à l’âge de 27 ans. Certains de mes plus jeunes professeurs avaient le même âge que moi. J’ai complété une licence et un master et j’ai commencé un doctorat. Ce parcours n’est pas du tout classique en Amérique du Nord (contrairement à la France). Au Canada et aux États-Unis, il est préférable de changer d’université, au moins pour faire un doctorat. Si je me suis inscrit à ce doctorat, c’est parce que j’avais obtenu une bourse d’études. Comme au Canada et aux États-Unis il n’est pas recommandé de faire les trois cycles dans la même université, je savais que je ne pourrais pas finir le doctorat à l’UdeM. Je me suis néanmoins investi sérieusement dans les séminaires de recherche. Au cours du premier semestre, j’ai fait la rencontre de celle qui allait partager ma vie et c’est d’ailleurs grâce à mon épouse, Odette Tomescu, que je suis venu en France finir mon doctorat en 1999. Après m’être inscrit en thèse avec Marie-Claude Smouts, j’ai finalement terminé mes recherches avec Bertrand Badie en décembre 2005. Mes années comme soldat à la fin de la guerre froide et le fait d’être nord-américain expliquent que je m’intéresse aux relations transatlantiques, au rôle des États-Unis dans la sécurité européenne ainsi qu’à la politique étrangère de Washington. 

Après avoir soutenu ma thèse de doctorat, j’ai obtenu une bourse post-doctorale de Sciences Po (rattachement au CERI 2005-2006), le Prix Dalloz 2006 décerné pour l’excellence et l’originalité de ma thèse et le Prix Le Figaro-Sciences Po 2007 pour mes deux premiers livres : Le partage du fardeau de la sécurité transatlantique : les relations franco-américaines à l’épreuve de la guerre en ex-Yougoslavie (1991-1995), Paris, Editions Dalloz, 2006 et L’ONU et le maintien de la paix. Propositions de réformes de l’Agenda pour la Paix au rapport Brahimi, Paris, L’Harmattan, Collection Logiques politiques, 2006. 

En novembre 2012, j’ai soutenu mon Habilitation à diriger des recherches (HDR) sous la direction de Guillaume Devin : un travail théorique sur la puissance, l’ordre international et les institutions multilatérales qui a donné lieu à la publication d’un ouvrage sur le maintien de la paix de l’ONU intitulé Le maintien de la paix : l’ONU en action en 2015 aux Éditions Armand Colin. Mon souhait était de contribuer à enrichir le champ de réflexion sur ce sujet assez peu analysé dans le monde francophone.

Mes recherches depuis 2002 ont porté sur des sujets variés mais toujours en lien avec la défense, la sécurité internationale et la sociologie militaire. Plusieurs d’entre elles impliquent un partenariat avec le CERI, Sciences Po et des organismes liés au ministère de la Défense français (DGRIS, Etat-major des armées, Service de santé des armées (SSA)). Les sujets que j’aborde concernent les relations transatlantiques, les Balkans de l’Ouest, les opérations extérieures de la France, l’espace Mer noire, les opérations de maintien de la paix (OMP), la maîtrise des armements biologiques et chimiques, la perception de la défense française par nos alliés, les stratégies de communication des grandes organisations internationales, les Etats membres de l’UE, le désarmement et la dissuasion, la défense vue par les jeunes Français, l’identité des militaires et des civils de la Défense, les identités et aspirations des civils et des militaires du Service de santé des Armées (SSA), la féminisation du SSA et le statut de la maîtrise des armements conventionnels en Europe.

Au moment d’écrire ces lignes, je suis toujours rattaché au CERI et je me concentre surtout sur mes enseignements aux niveaux licence et master (campus de Paris et campus transatlantique de Reims) ainsi qu’à la supervision de mémoires de recherches pour la Paris School of International Affairs (PSIA). Depuis novembre 2020, je suis l’heureux papa d’un petit garçon de bientôt dix ans adopté en Roumanie. 

La France, Paris et Sciences Po m’ont beaucoup apporté sur le plan professionnel comme personnel. Je suis particulièrement fier de faire partie d’un des meilleurs centres de recherche en relations internationales au monde. Longue vie au CERI ! 

Bibliographie/Référence

Publications de Ronald Hatto référencées sur SPIRE (portail de Sciences Po sur l’archive ouverte HAL)

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©Image : Dessin de Henri Handrawan pour Shutterstock