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Les infrastructures de la circulation des exilés ukrainiens en Europe

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Le système de réception des exilés aux frontières de l’Europe est une armature policière et carcérale. Il est maillé de centres de rétention isolés, où vivent pour des mois, voire des années les personnes attendant que l’on statut sur leur sort. Rien de tout cela pour les Ukrainiens qui ont fui le conflit qui fait rage dans leur pays depuis la fin février 2022. Les acteurs et les centres de réception, depuis le lieu de départ jusqu’à celui de l’installation dans un pays européen ou américain, forment une chaîne qui canalise et soutient les exilés dans leur trajectoire. J’ai pu, au cours d’une mission menée entre le 5 et le 10 mai 2022, suivre un segment de cette chaîne.

À Lviv, principale ville d’accueil de l’Ouest ukrainien, convergent les flux de personnes fuyant les zones en guerre. Les autorités estiment à environ 500 000 le nombre de personnes qui y seraient passées et à 2 à 300 000 le nombre de celles qui y résideraient encore. Le stade inauguré pour la coupe d’Europe tient lieu de principal centre d’accueil (photo 1). La ville abrite plusieurs autres centres de tailles plus modestes, ouverts spontanément par des organisations religieuses ou des particuliers. La deuxième photo est celle d’un lieu d’hébergement situé à l’étage d’un concessionnaire Tesla et géré par un couple franco-ukrainien.

Le poste frontière polonais le plus proche, Medikat, est à 2 heures de route. Côté polonais, une chaine d’organisations humanitaires fait transiter de l’aide vers l’Ukraine et les réfugiés vers les destinations variées. Ce QR code collé sur les grilles du poste frontière renseigne les réfugiés sur l’obtention d’un titre de statut de protection temporaire et des droits associés (photo 3). Au bord de la route, un panneau lumineux indique les bus en partance pour des villes européennes (photo 4).

Ceux qui transitent par la gare la plus proche ont accès à une carte qui les invite à trouver refuge dans les villes secondaires polonaises (photo 5). On y lit “Don’t be afraid to go to smaller towns, they are peaceful, have good infrastructure, and are well adapted”. Les grandes villes (Varsovie, Cracovie, Gdansk, Lublin…) sont saturées. À Varsovie, les deux principaux centres de réception, Ptak et Modlinska, sont localisés en bordure de la ville. Les personnes peuvent y trouver refuge pour quelques heures ou quelques jours, jamais davantage. Des guichets tenus par des ONG les aiguillent vers un hébergement plus durable, le plus souvent chez l’habitant. Les hébergeurs accueillent l’essentiel des 300 000 réfugiés établis dans la ville. Les personnes désireuses de se rendre à l’étranger peuvent obtenir l’accompagnement d’ONG qui feront le lien avec les services d’immigration concernés et des associations sur place. Dans le centre de Pomoçy (photo 6) ils peuvent trouver un comptoir espagnol, suédois, anglais ainsi qu’une annexe de l’ambassade du Canada pour exprimer leur demande.

La gestion de la circulation et de l’hébergement des réfugiés incombe presqu’entièrement à la société civile et à ses bénévoles. Il n’existe pas de camp de réfugiés en Pologne. Et nous n’avons pas vu la présence ni du Haut-Commissariat aux Réfugiés, ni de l’Organisation Internationale pour les Migrations. Le gouvernement polonais refuse tout plan de relocalisation à l’échelle européenne : la gestion des réfugiés a entrainé la suspension des sanctions de l’UE pour ses infractions à l’égard des droits de l’Homme et de l’État de droit. Le gouvernement préfère donner une allocation aux personnes hébergeantes même si cette aide financière n’est valable que quatre mois. L’inflation, la hausse des coûts de l’énergie alourdissent la charge de l’hébergement. Dans le même temps une sévère pénurie de logements a provoqué une explosion des prix de l’immobilier dans le pays entier. Plus de 500 000 Ukrainiens sont déjà repartis en Ukraine. Mais on s’attend tout de même à de fortes tensions sociales avec la fin du système d’hébergement solidaire.

Bibliographie/Référence

Publications de Thomas Lacroix référencées sur SPIRE (portail de Sciences Po sur l’archive ouverte HAL)

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©Image : ©Thomas Lacroix