Au Pakistan, la politisation des trajectoires de carrières des hauts fonctionnaires de l’administration territoriale depuis plus de trente ans suscite une vulnérabilité des agents d’État en période de changement politique. Les photos que nous avons retenues ont été prises en mai 2022 lors d’un séjour auprès du préfet du district de Nankana Sahib (Pendjab) un mois après la destitution du Premier ministre Imran Khan, et la semaine même marquant la constitution d’un nouveau gouvernement dans la province du Pendjab, désormais dominée par la Ligue Musulmane (Nawaz) (PML-N). Au cœur du système fédéral pakistanais, un changement de gouvernement provincial s’accompagne d’une recomposition des rapports de force entre élites politiques à l’échelle locale. Les membres du parti au pouvoir deviennent les nouveaux acteurs incontournables – qu’ils soient élus ou non aux parlements national et provincial – en ce qu’ils sont en mesure de mobiliser le gouvernement provincial (mené par le Chief Minister) pour capter les ressources (budgétaires, humaines) mais également demander le remplacement de hauts fonctionnaires réticents à mettre leur pouvoir légal et leur prestige social au service des intérêts politiques et personnels des personnalités politiques locales.
Cette sélection de photos montre une rencontre entre le préfet de district (Deputy Commissioner) et une personnalité politique, journée au cours de laquelle le fonctionnaire fait visiter les grands projets de construction entrepris sous le gouvernement précédent et dont il avait la charge de la coordination en tant que tête administrative du district (ici, une université et un centre hospitalier).
Elle donne à voir les marchandages tacites qui opèrent entre les deux protagonistes. D’une part, le préfet tente d’assurer la pérennisation des projets, tout en faisant valoir sa compétence et son ethos de neutralité afin de maximiser ses chances de conserver son poste. D’autre part, la personnalité politique tente d’obtenir un maximum d’information sur les projets en cours afin de saisir leur compatibilité avec le programme de son parti et ses intérêts électoralistes, tout en sondant la capacité du préfet à se faire le relai de l’agenda programmatique du PML(N). La présence de nombreux militants s’inscrit alors dans un objectif plus large d’afficher (médiatiquement, notamment) la domination de la personnalité politique sur le champ administratif, et d’associer son image aux projets en cours. Le préfet perdra son poste dix jours plus tard, et occupe aujourd’hui un poste de préfet dans un autre district du Pendjab.
Les photos présentées ici font partie d’un ensemble visible dans la galerie de photos disponible sur ce site.
Bibliographie/RéférencePublications de Guillaume Beaud référencées sur SPIRE (portail de Sciences Po sur l’archive ouverte HAL)
