Au pic de la « crise migratoire » de 2014, les États européens ont cherché à développer des actions communes pour empêcher les déplacements de personnes du sud vers le nord de la Méditerranée. Pays de transit, le Niger occupe alors une place stratégique et la ville d’Agadez apparaît comme un carrefour migratoire. En 2016, le Conseil européen réoriente le mandat de la mission de renforcement des capacités des forces de sécurité intérieure du Niger (EUCAP Sahel) vers la prévention des migrations irrégulières.
Le budget de la mission EUCAP Sahel, lancée à Niamey en 2012, augmente de façon considérable à partir de 2014 (passant de 9,1 millions d’euros pour l’année 2014-2015 à 18,4 millions d’euros en 2015-2016 puis 26,3 millions d’euros en 2016-2017). En parallèle, une antenne de la mission est ouverte dans la ville d’Agadez. La mission revendique d’avoir formé 13 000 membres des forces de sécurité intérieure du Niger entre 2012 et 2019.
Provisoirement logés dans un hôtel tenu par un couple de français, les agents déployés à Agadez s’installent à partir de 2016 dans un « compound » confortable de 14 000 mètres carrés financé par l’Union Européenne. Le « compound » de la mission EUCAP Sahel est un lieu entouré de murs (« bastion walls »), censés protéger de tirs et d’éclats, surmontés d’imposants fils barbelés et de plus de 50 caméras de surveillance. Un peloton composé de trente membres de la gendarmerie et de la garde nationale du Niger est mobilisé en permanence pour assurer la protection des agents européens. La sécurité est également assurée par la société privée nigérienne Gadnet qui met une centaine d’employés à disposition de la mission EUCAP Sahel. Les agents européens se voient attribuer des noms de code et des « talkie-walkies » qu’ils doivent porter sur eux en permanence pour annoncer tous leurs déplacements à la base centrale (« zulu base »).
Divisé en trois parties, le compound est un lieu de travail ainsi que de sociabilité pour les agents de la mission. La première partie du camp est constituée d’une cour intérieure, d’un parking, de salles de travail utilisées pour former les membres des forces de sécurité du Niger et d’un discret emplacement de prière. La deuxième partie correspond au bâtiment administratif où se situent les bureaux des agents et une salle de réunion. La troisième partie est une « base vie » verdoyante et très bien entretenue où se trouvent les logements des agents, une infirmerie, une salle de convivialité, une cantine, une salle de sport et une piscine.
L’antenne de la mission EUCAP Sahel est rapidement devenue un symbole de l’activisme de l’UE au Sahel. Depuis son inauguration en 2016, le compound d’EUCAP à Agadez a reçu de nombreuses demandes de visite de la part de délégations extérieures composées de ministres, d’élus parlementaires, de fonctionnaires européens, de divers bailleurs de fonds, ou d’opérateurs techniques. Ces visites se sont routinisées, au point que des procédures spéciales ont été mises en place pour que les visiteurs extérieurs soient accueillis dans les meilleures conditions au sein de l’antenne d’EUCAP Sahel à Agadez.
La mission EUCAP Sahel peut apparaître, de prime abord, comme un opérateur de coopération technique parmi d’autres dans le domaine de la sécurité. Les agents présents à Niamey et Agadez forment, conseillent et équipent les « corps habillés » du Niger. Ils mobilisent en parallèle des ressources institutionnelles considérables pour documenter et médiatiser leurs activités le plus largement possible. Dans la presse écrite nigérienne et sur diverses plateformes numériques, les agents d’EUCAP Sahel se « mettent en scène » : ils animent des réunions de travail, remettent des équipements matériels, coordonnent des exercices de simulations de gestion de crise, enseignent des techniques d’investigation, attribuent des attestations de formation et prennent part à des cérémonies locales. La compréhension des conditions matérielles dans lesquelles opèrent les agents européens et l’étude de la perception locale de la mission EUCAP Sahel sont deux dimensions centrales du travail de recherche. En ouvrant la « boite noire » d’une intervention européenne, cette recherche entend contribuer au « décentrement » de la littérature sur la politique étrangère et de sécurité de l’UE.
Les photographies ont été prises au cours d’une enquête de terrain de six mois entre janvier et juin 2019 dans le cadre d’un stage à l’ambassade de France. Cette affiliation institutionnelle a permis de s’insérer dans les espaces où travaillent, vivent et circulent les agents de la mission EUCAP Sahel. La participation à des réunions, en tant qu’accompagnateur de la personne chargée de représenter l’ambassade de France (attaché de Défense, conseillers politiques, coopérants militaires, membre du service de coopération et d’action culturelle) fut un moyen utile pour observer « de l’intérieur » le travail des agents de l’UE dans des sites relativement fermés et confidentiels à l’image du « compound » de la mission EUCAP Sahel à Agadez.
Publications de Léonard Colomba-Petteng référencées sur SPIRE (portail de Sciences Po sur l’archive ouverte HAL)