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Enquêter et revenir

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Enquêter sur un fleuve contaminé et déclaré sujet de droits pose un certain nombre de questions méthodologiques. Où se placer sur le fleuve pour observer ceux qui le défendent ? De quel fleuve parler ? Celui où l’on se baigne en fin de journée pour échanger les nouvelles du village (photo 1)? Celui sur lequel on circule pour aller travailler, visiter un parent ou assister à une veillée funéraire ? Le fleuve dont les berges sont détruites par le mercure et dans lequel les poissons ne survivent pas ou sont de plus en plus petits, comme le montre l’une des photos retenues ici (photo 2) ? Celui duquel on extrait de l’or avec une batée en bois grâce à un mouvement circulaire qui permet de faire apparaître les poussières d’or ? Le fleuve dans lequel on se débarrasse de ses déchets ? Le fleuve des biologistes qui en surveillent le moindre micro-organisme ?

Comment donner à voir tous ces fleuves et la complexité des liens que les habitants tissent avec lui ? Au-delà des photos aériennes et des points de vue scandalisés par la « destruction » que les usages prédateurs opèrent sur le fleuve, l’enquête de terrain menée depuis 2018 me permet de changer d’échelle et d’atterrir sur les rives de l’Atrato. Là, entre deux averses spectaculaires, je peux sentir la fraicheur de l’eau dans la chaleur d’une après-midi étouffante, partir à la mine et ressentir le goût des orpailleurs pour ce labeur dur et grisant, accompagner les professeurs qui enseignent dans les écoles des villages et m’assoir au petit matin au marché de Quibdo, la capitale du département, pour regarder les bateaux chargés de poissons qui arrivent de tous les villages de l’amont et de l’aval. C’est à cette condition que l’on peut comprendre que tous ces fleuves n’en font qu’un. Le fleuve décharge – celui où une mine flottante détruite par l’armée se décompose lentement comme l’illustre la troisième photo présentée ici – et le fleuve pourvoyeur de nourriture, d’or et d’eau pour la baignade. Et au fil des terrains, saisir que celui qui rejette du mercure et celle dont les enfants se baignent un peu plus loin sont les mêmes, pris dans des logiques et des tensions qui frottent et grincent parfois.

Il faut revenir, d’année en année, pour saisir la force de ces attachements complexes. Se sentir à son tour attachée. Écrire pour peut-être comprendre et partager.

Voir également la galerie Sur les pas d'une anthropologue

Bibliographie/Référence

Publications de Sandrine Revet référencées sur SPIRE (portail de Sciences Po sur l’archive ouverte HAL)

Mots clés
©Image : ©Sandrine Revet