Elections présidentielle et législatives du 14 mai 2023 : le retour de la démocratie en Turquie ?

04/2023

L’année 2023 est une année cruciale en Turquie pour une double raison. Elle marque le centenaire de la fondation de la République de Turquie par Mustafa Kemal dit Atatürk en 1923 et sa célébration est l’occasion d’établir un bilan du pays dans de multiples domaines politique, économique et social, culturel ou encore international. L’année 2023 est aussi une année électorale décisive avec la tenue de deux élections – présidentielle et législatives – à la date du 14 mai.

Dirigée depuis vingt ans par le Parti de la justice et du développement (Adalet ve Kalkınma Partisi, AKP) personnalisé par Recep Tayyip Erdoğan, la Turquie s’est fortement polarisée sur le plan politique au cours des dernières années. Le président Erdoğan est devenu une personnalité de plus en plus clivante au fil du temps ; ses pouvoirs ont été considérablement renforcés à la suite de la réforme de la Constitution soumise à référendum en avril 2017 qui a institué la présidentialisation du régime turc. Parallèlement, les dérives autoritaires du régime se sont renforcées depuis le coup d’Etat militaire avorté de juillet 2016 qui a entraîné l’instauration de l’état d’urgence durant les deux années qui ont suivi au cours duquel des milliers de citoyens turcs ont perdu leur emploi, ont été arrêtés, condamnés et emprisonnés au nom de la lutte contre le terrorisme. Sur le plan économique et social, la Turquie traverse une profonde crise qui s’est aggravée depuis 2018 (inflation à plus de 85% en 2022, dévaluation de la monnaie nationale, hausse du chômage)1. En matière de politique étrangère, le pays a connu un isolement croissant sur la scène internationale au cours des dernières années en raison de son interventionnisme régional sur de multiples fronts : interventions militaires en Syrie et en Irak, implication dans les conflits en Libye et au Haut-Karabagh, tensions avec la Grèce et relations troublées avec les alliés traditionnels occidentaux.

Les scrutins de mai prochain conduiront-ils au maintien au pouvoir du parti AKP et de son dirigeant R. T. Erdoğan (pour un troisième mandat présidentiel après les élections de 2014 et de 2018) ou entraîneront-ils au contraire une alternance politique ? En cas de victoire, l’opposition a fait savoir qu’elle rétablirait le régime parlementaire en Turquie en lieu et place du système présidentiel mis en place par la réforme constitutionnelle de 2017. Tels sont les principaux enjeux des élections à venir.

À l’approche des scrutins du 14 mai, plusieurs facteurs joueront sans doute un rôle déterminant dans les choix électoraux des citoyens turcs : la situation économique et financière du pays, l’évolution de la question kurde, l’avenir du système présidentiel ou encore la position de la Turquie sur la scène internationale marquée par un isolement croissant au cours des dernières années. On peut également ajouter à ces éléments le contexte particulier dû aux tremblements de terre du 6 février dernier dans le sud-est de la Turquie et en Syrie, au bilan humain et matériel dramatique (plus de 50 000 morts et 105 000 blessés, 214 000 bâtiments détruits ou endommagés, plus de 3,3 millions de personnes déplacées à la date du 7 mars 20232 et leurs conséquences politiques. En aggravant les difficultés économiques d’au moins un sixième de la population et en suscitant des protestations sur la réaction jugée trop lente des autorités turques, ces séismes pourraient avoir des conséquences significatives sur le vote.

Ce dossier s’inscrit dans le cadre des activités du groupe de recherche Turquie 2023 qui, en partenariat avec plusieurs institutions, a animé un cycle de conférences au cours de l’année 2022-2023 autour de l’actualité de la Turquie en 2023 (élections du 14 mai et centenaire de la fondation de la République en octobre).

Le présent dossier contient cinq contributions. Dans la première, Max-Valentin Robert se penche sur la stratégie du pouvoir mis en place par le président Erdoğan pour ce scrutin qui s’annonce pour lui plus difficile que les précédents. Selon l’auteur, les observateurs internationaux ont beaucoup traité de la stratégie déployée par les forces d’opposition – notamment en raison de leurs difficultés pour trouver un candidat commun – mais ils se sont peu intéressés à la façon dont le pouvoir en place appréhendait les scrutins. Max-Valentin Robert montre comment la stratégie mobilisée par l’AKP témoigne de l’inscription de ce parti au sein de la grande famille des populismes de droite.

Dans un deuxième texte, Aurélien Denizeau estime que l’aggravation de la crise économique en Turquie depuis 2018 et les méthodes de plus en plus autoritaires du président Erdoğan (depuis son élection en 2014) et de l’AKP, au pouvoir depuis 2002, conduisent de plus en plus de Turcs à souhaiter une alternance. Il rappelle que la plupart des partis d’opposition se sont réunis au sein d’une coalition électorale, l’Alliance de la nation, construite autour de la candidature unique de Kemal Kılıçdaroğlu à la présidentielle. Cette union de l’opposition marque une coalition inédite en deux décennies de vie politique dominée par l’AKP. Toutefois, ce rassemblement s’appuie sur une base programmatique minimale (mettre fin au pouvoir du président Erdoğan et à son régime présidentiel) et il reste fragile en raison du caractère très hétéroclite des partis composant l’alliance.

Dans un troisième texte, Deniz Akagül souligne l’importance de la dimension économique pour les prochaines élections. Selon lui, celle-ci déterminera en grande partie le verdict des urnes. L’histoire du marché politique turc fournit des éclairages, pour comprendre comment des comportements irrationnels du point de vue économique peuvent devenir rationnels du point de vue politique. 

Centrée sur la politique étrangère de la Turquie, la contribution de Jana Jabbour montre en quoi les performances diplomatiques des derniers mois des autorités turques peuvent constituer un atout pour le pouvoir politique en place. Confronté à une situation économique et sociale dégradée et fragilisé à l’intérieur du pays, le président Erdoğan, engagé sur tous les fronts et omniprésent sur la scène régionale et internationale, mise sur la politique étrangère pour s’imposer le 14 mai en instrumentalisant la politique étrangère à des fins de politique intérieure.

Enfin, dans le dernier texte du dossier, Adnan Celik souligne l’importance du Parti démocratique des peuples (Halkların Demokratik Partisi, HDP) lors des prochaines élections. En effet, le HDP pro-kurde demeure un parti clé en capacité d’exercer un rôle d’arbitre, de « faiseur de roi », pour deux raisons principales : le choix du parti de ne pas présenter de candidat à l’élection présidentielle et son poids électoral. Crédité selon les sondages de 10% à 15% des voix aussi bien aux législatives qu’à la présidentielle, la formation serait la troisième force politique du pays.

Photo de couverture : Edirne, Turquie - août 2022, portrait de Mustafa Kemal Ataturk et drapeau turc sur le bâtiment du gouvernement en Turquie. Crédit photo : Uskarp pour Shutterstock.

  • 1. AFP, 19 février 2023.
  • 2. AFP, 7 mars 2023.
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