Atelier de cartographie de Sciences Po


Carnet de recherche

L’envers du décor ou comment la Genève internationale fut cartographiée

Benoît Martin
Publié le 19/01/2022


Au regard du courant critique de la cartographie (Wood 1992 et Wood 2010 notamment), ce texte vise à expliciter les choix concrets qui ont mené à ce discours, cartographique, sur la Genève internationale :

Atelier de cartographie de Sciences Po, 2021

Récupérer et structurer les données

Le Canton de Genève comptabilise l’implantation des sièges des acteurs internationaux (organisations internationales [OI], missions permanentes des États auprès de ces OI, ONG, institutions académiques, fondations, etc.). Cette liste est tenue à jour et publiée dans un Who’s who qui renseigne les principales informations (nom, type, adresse). Bénédicte Gilbert, qui travaille au service de la Genève internationale de l’État de Genève, nous a aimablement extrait et transmis les données.

Après un “nettoyage” et une structuration des données, un premier traitement consiste à obtenir la position géographique de ces adresses grâce à un “géocodage”. Cela revient à transformer une adresse postale en coordonnées géographiques (latitude et longitude). L’extension Geocode pour le tableur Google Sheets, le fait facilement et de manière efficace (ce qui n’évite pas des vérifications).

Choisir et construire une visualisation

Une rapide carte via QGis donne un aperçu de la géographie de ces sièges d’acteurs internationaux :

Ce premier brouillon est utile à plusieurs titres.

D’abord, cet aperçu aide à définir la bonne “fenêtre” (cadrage géographique). Ce choix consiste à trouver un compromis entre : cadrer large pour intégrer les sites excentrés mais qui risque de montrer de vastes zones vides et de ne pas pouvoir distinguer finement les sites où ils se concentrent et, à l’inverse, cadrer serré pour justement montrer ces détails dans les zones denses mais qui empêche de voir l’isolement et la dispersion des sites éloignés (ceux-ci pouvant être significatifs ou importants).

Ensuite, cet aperçu signale d’ores et déjà des problèmes de bonne lisibilité des sites individuels lorsqu’ils se concentrent en une même adresse. Telle superposition de points cache-t-elle 1, 2 ou 10 acteurs dans un même bâtiment ? Impossible d’y répondre visuellement. Resserrer le cadrage ne résoudrait rien de même que rendre les points semi-transparents réduirait trop le poids de ces objets qui constituent pourtant le sujet de la carte. On choisit plutôt d’agréger l’information à partir d’une grille. Celle-ci donne à montrer une trame de points proportionnels au nombre d’acteurs rassemblés dans chaque cellule. Cette option autorise aussi à conserver un cadrage large tout en éludant les problèmes de lisibilité dans les zones très denses.

Cette grille est créée assez simplement, en arrondissant dans le tableur les coordonnées géographiques à 0,002 degrés. Le choix de ce seuil est entièrement empirique. Il s’opère en évaluant visuellement le bon équilibre entre vue d’ensemble (arrondir à 0,001 ne simplifie pas assez) et identification de détails (arrondir à 0,005 simplifie trop).

Les trois vignettes – qui utilisent une échelle commune de proportionnalité – suggèrent une géographie propre à chaque type d’acteur (OI, missions permanentes des États et ONG) :

L’argumentaire de l’article que cette carte étaye montre les dynamiques de “l’écosystème international genevois” ; en expliquant notamment les bénéfices qu’en tirent les OI. Ces acteurs constituent donc la référence, que l’on pourrait assimiler, en caricaturant, à la variable indépendante à partir de laquelle l’implantation des autres acteurs est analysée. Une carte configurée en deux vignettes seulement permet de souligner la logique de cette démonstration : la première sur les missions permanentes des États, MP (en orange), la seconde sur les ONG (en vert). Au plan graphique, l’utilisation d’un contour épais combiné à un fond transparent pour représenter les OI favorise la superposition et la répétition dans les deux cartes :

Habiller l’image avec des informations jugées pertinentes

Cette carte ne resterait qu’une image relativement vide de sens sans les clés de compréhension généralement qualifiées “d’habillage”. Concrètement, il s’agit d’introduire l’image par un titre (thème), d’indiquer en légende la signification des couleurs (type d’acteurs) et les ordres de grandeur des points proportionnels (nombre), de citer les sources utilisées (officielles), de contextualiser l’activité (publication scientifique), de dater et signer le document, de suggérer la taille de la zone couverte (échelle graphique), etc.

En plus de ces éléments classiques, mais ô combien incontournables tant ils attestent de la rigueur du document produit, de nombreux autres “petits choix” permettent d’incorporer des informations pertinentes :

  • Les noms des lieux. Ils sont réduits au minimum mais présentent un intérêt pour la dimension internationale de Genève. Ce sont des axes structurants de la ville, des infrastructures de transports et des sites historiques ou emblématiques. Sur ce dernier point, les noms des sites ont été préférés à ceux des acteurs (Palais des Nations et non UNHCR), pour renforcer l’approche strictement géographique.
  • Le fond de carte. En plus de la configuration hydrographique particulière de Genève, liée au Lac Léman, au Rhône et à son affluent principal, le réseau des rues (venant d’OpenStreetMap et intégré via l’extension QuickOSM) dessinent bien la morphologie urbaine (centre historique, faubourgs, axes autoroutiers, pistes d’atterrissage, etc.). 
  • L’esthétique globale de l’image. Le contraste assumé entre, d’une part, les éléments relatifs au sujet de la carte montrés avec des couleurs denses (vives ou noir, qu’ils soient graphiques ou écrits) et, d’autre part, le reste montré en gris, renforce la lecture à deux niveaux. En exagérant, on ne perdrait pas l’essentiel ainsi :

Références


  • Wood, Denis. 1992. The Power of Maps. New York (N.-Y.) : Guilford Press.
  • Wood, Denis ; Fels, John ; Krygier, John ; Chrisman, Nicholas ; Pickles, John. 2010. Rethinking the Power of Maps. New York (N.-Y.) : Guilford Press.

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Benoît Martin, le 19/01/2022

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