Martin Argyroglo est photographe indépendant, spécialisé en architecture et en spectacle vivant. Depuis 2018, il suit en images, pour le compte de Sciences Po, le chantier du 1 Saint-Thomas.
Quelle a été votre première impression en découvrant le site du 1 Saint-Thomas ?
Je connais bien la place Saint-Thomas d’Aquin et son église, et pourtant, je ne soupçonnais pas qu’il y avait un tel espace juste derrière, en plein VIIe arrondissement. Au-delà de cette place déjà un peu cachée, on découvre un autre lieu, plus caché encore, qui ressemble à une petite ville, avec ses circulations, ses cours et ses bâtiments. Les travaux n’avaient pas encore commencé quand je suis venu la première fois, le lieu était dans son jus, avec un aspect patrimonial fort, et un croisement d’époques très intéressant : un cloître, un bâtiment des années 1920, et un projet d’architecture très contemporaine. C’est rare de voir en plein Paris une telle diversité d’époques sur un chantier de cette ampleur.
Quel est votre lieu favori à Saint-Thomas ?
Le lieu que je trouve le plus spectaculaire, c’est la cour Gribeauval, qui a beaucoup changé et où sera vraiment incarné le projet. J’ai assisté à la destruction du bâtiment moderne, qui a été une phase très spectaculaire, puis vu apparaître ce grand trou, cet immense espace creusé en sous-sol. Il y a plein de possibles à ce moment-là, on peut imaginer des tas de choses. Ça m’a fait penser au trou des Halles, où Marco Ferrerri avait tourné un western. Et maintenant le Pavillon, très contemporain, est quasiment terminé. Ce qui m’intéresse, c’est de voir le processus, l’entre-deux.
Est-ce là, dans ce processus, que vous trouvez votre motivation à faire de la photographie d’architecture ?
L’intérêt est de noter des choses en mutation : à chaque passage, les choses sont différentes. Parfois, on peine à voir les évolutions, comme face à un enfant qui grandit. Il faut revenir aux premières images pour percevoir le changement. Souvent, les commandes concernent des bâtiments qui viennent d’être livrés, avant que les usagers s’en emparent. Cela produit une image fixe, mais qui permet de comprendre les intentions des architectes. Je suis content si je peux revenir sur les lieux plus tard, pour voir comment ils sont habités. Parfois, il se passe complètement autre chose que ce qui était prévu, la vie du bâtiment prend le pas sur l’image de papier glacé. Les deux moments m’intéressent. Et puis j’aime explorer des mondes particuliers dans un espace parisien très codé. Il est rare de voir de nouveaux objets dans Paris.
Faut-il s’y connaître un peu en architecture pour faire de bonnes images d’architecture ?
Il faut s’y connaître un minimum, mais c’est bien aussi d’avoir un œil profane, pour être plus disponible à ce qui peut se passer visuellement. Je me mets dans la peau du curieux qui se promène. Surtout sur un chantier, quand on y va très régulièrement, on peut avoir le sentiment de revoir les mêmes choses. Mais le chantier est toujours pourvoyeur de nouvelles formes.
Est-ce que vous dialoguez beaucoup avec les responsables du chantier, les compagnons et les ouvriers sur place ?
Pas forcément, parce qu’ils sont très occupés, et beaucoup sont rétifs à se faire prendre en photo. Ça peut m’arriver pour documenter certaines étapes ou certains gestes, comme je l’ai fait à Saint-Thomas avec les tailleurs de pierre. En discutant, ça aide à faire de bonnes photos, en détournant l’attention de l’appareil.
Quelle est la place de l’humain dans vos photos, qu’il s’agisse de personnes évoluant sur des chantiers et dans des bâtiments, d’acteurs dans des spectacles ou des silhouettes entrevues dans votre série Fenêtres sur tour ?
Je ne suis pas un photographe de portrait, je suis un observateur. J’aime travailler in situ, photographier en studio m’angoisserait beaucoup ! Je préfère la notion de figure qui s’intègre dans un tableau vivant, dans une relation au paysage. La notion de chorégraphie m’intéresse beaucoup, que ce soit sur scène ou dans un espace urbain. Et j’aime retrouver des logiques communes chez un architecte, un metteur en scène ou un chorégraphe. Ils travaillent de la même manière : ils créent une relation entre un espace et des gens, élaborent des images et proposent des paysages. Ils travaillent à une scénographie, un dispositif, ils réfléchissent à la façon de s’approprier l’espace. J’aime l’idée que des architectes me proposent un travail parce qu’ils ont vu mes photos de spectacles, et inversement.
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