Max Weber. Réalisme, rêverie et désir de puissance, de François Bafoil, Hermann, 434 p., 35 €.
La figure du fondateur de la sociologie moderne, Max Weber (1864-1920), n’a rien perdu de son caractère fascinant. Non seulement parce qu’il a légué une œuvre colossale – connue en France relativement tard, et sélectivement, grâce à Raymond Aron et Julien Freund. Mais aussi parce qu’il était lui-même un colosse, à la fois génial et dépressif, à l’égal de l’autre représentant canonique du tournant de la modernité allemande, Nietzsche.
Alors que l’enquête de Weber sur les travailleurs de l’est de l’Elbe lui a assuré, à 35 ans, une belle réputation académique dans sa place forte universitaire d’Heidelberg, il s’effondre psychiquement et sombre dans l’aphasie scripturale cinq années durant, de 1897 à 1902. C’est dire à quel point Weber constitue le sujet idéal d’une « psychobiographie », ce genre qui s’était quelque peu asséché depuis L’Idiot de la famille, de Sartre (Gallimard, 1971-1972), mais auquel la levée du tabou qui pesait sur l’interpénétration de l’œuvre et de la vie a, semble-t-il, redonné un essor.
Longtemps, pratiquer ce « biographisme » jetait des doutes sur la valeur scientifique du résultat. Comme le prouve l’auteur, François Bafoil, sociologue au CNRS/CERI, cette pudeur est désormais derrière nous.
Il n’hésite pas, par exemple, à montrer comment L’Ethique protestante et l’esprit du capitalisme (1904 ; Plon, 1964) a représenté pour Weber une porte de sortie hors de sa longue crise morale et nerveuse : « La lecture de ces pages, écrit-il, donne le sentiment que Weber est parvenu in fine à construire une explication rationnelle de ses propres tensions, portées par le constat initial que quelque chose a disparu – la cause fondamentale, Dieu, l’enfance – et par l’exigence de l’ascétisme en les sublimant à la hauteur d’un enjeu historique considérable – le capitalisme – dont il est un héritier et qu’il assume pleinement. »
Cette démarche fait toute l’originalité de cette nouvelle biographie, même si l’on peut déplorer un saucissonnage du propos en titres, intertitres et sous-titres pléthoriques qui gâche la fluidité de la lecture.
Indiscrétions signifiantes
François Bafoil n’en a pas moins su mettre en avant la richesse d’une histoire personnelle marquée par l’impuissance, et la chasteté imposée par Weber à son épouse, l’intellectuelle et féministe Marianne Weber (qu’il nommait sa « camarade » – Gefährtin), puis par la découverte sur un mode explosif de l’amour au sens le plus concret, notamment avec ses maîtresses, Mina Tobler et la redoutable Else von Richthofen (dont la sœur, Frieda, deviendra la maîtresse de D. H. Lawrence), avec laquelle les relations tourneront au sadomasochisme.
Il vous reste 30.47% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.