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De quelle littérature Macron est-il le héros ?

PASCAL LACHENAUD/AFP

FIGAROVOX/TRIBUNE - Est-il un chef d'État autoritaire et méprisant ? Un personnage nietzschéen ? Un Don Quichotte des temps modernes ? André Grjebine s'interroge sur le projet que poursuit réellement le chef de l'État, et sur ses chances de succès.


André Grjebine est directeur de recherche à Sciences Po, Centre de Recherches Internationales.


Loin de clarifier la personnalité d'Emmanuel Macron, l'entretien qu'il vient d'accorder à la Nouvelle Revue Française (mai 2018) nous propose une sorte de jeu de miroirs. Des aspects différents se dessinent suivant que l'on met l'accent sur tel ou tel passage. Tantôt il apparaît comme un chef d'État quelque peu autoritaire et méprisant. Tantôt comme une sorte de démiurge nietzschéen ou de Don Quichotte moderne s'attaquant à tous les obstacles qui se présentent. On a parfois l'impression qu'il se plaît à brouiller les pistes, sans doute pour se donner plus de marge de manœuvre, précipitant le lecteur dans un sens avant de l'obliger à rebrousser chemin et à chercher ailleurs. S'inspire-t-il de philosophes qui manipulent les mots pour faire apparaître de nouvelles conceptions ou suit-il les conseils de Machiavel qui recommandait au Prince d'être obscur? Il est vrai qu'il entend assumer «la part parfois univoque, unilatérale de toute décision» et refuse de rendre des comptes: «je hais l'exercice consistant à expliquer les leviers d'une décision.» En même temps, il donne des indices qui permettent d'entrevoir son raisonnement, sinon de le reconstituer.

À première vue, on ne peut qu'être choqué par le mépris d'Emmanuel Macron à l'égard de ses contemporains. Il évoque ainsi «ce vieux continent de petits-bourgeois se sentant à l'abri dans le confort matériel» et affirme que «le grand enjeu, c'est de sortir de l'insignifiance». On peut comprendre qu'il prévienne les Européens que désormais ils seront moins protégés par les États-Unis de Trump. Mais une chose est de constater que l'Histoire est tragique, comme il le confiait, en novembre 2017, à Philippe Besson (Un personnage de roman, Julliard, 2017), en reprenant la formule de Raymond Aron, une autre de se réjouir que «l'histoire que nous vivons en Europe redevien[ne] tragique». Est-ce la tâche d'un Président de la République d'expliquer que l'entrée de l'Europe «dans une nouvelle aventure où le tragique s'invite [le]rend optimiste»?

Une autre lecture s'impose si on prend en considération l'usage très particulier et qui n'a rien à voir avec leur définition usuelle que Macron fait des mots clefs de son texte. Il explique ainsi qu'il entend par «romanesque» «une redécouverte du sens tragique: une perception non point technique du réel, mais dramatique, c'est-à-dire posant la question du sens. C'est ce moment où la politique devient une matière littéraire. Que la politique se redécouvre comme un lieu où se pose, pour toute la société, la question dramatique du sens.» Quelle est donc la signification de ce sens que nous sommes censés redécouvrir?

On en vient à se demander si Emmanuel Macron ne présume pas de ses forces et de sa capacité à faire partager ses idées.

Même si d'autres interprétations sont sans doute possibles, en ayant à l'esprit les discours prononcés à Athènes (7/9/2017), à la Sorbonne (26/9/2017) sur l'Europe, on peut comprendre le raisonnement sous-jacent à ses propos dans l'entretien à la NRF de la manière suivante: dans une Europe assoupie, à l'abri de la puissance américaine, les Européens s'enfoncent dans «le nihilisme…qui conduit à l'absence de tout désir et de toute ambition» et laissent la construction européenne se délier. En raison de l'affaiblissement politique de nos partenaires, la France seule peut initier la réforme nécessaire pour remettre en selle cette construction. Or, pour le moment, elle est bloquée par la faiblesse de son économie. Sa voix ne deviendra crédible que si le retrait américain provoque un choc tel que les Français prennent conscience de la nécessité des réformes mises en œuvre par le gouvernement. En même temps, ce choc bénéfique fera prendre conscience à nos partenaires que l'approfondissement de l'Union européenne est vital pour les pays qui la composent. C'est le tragique optimisant qu'évoque Emmanuel Macron.

C'est bien à cela qu'il fait référence quand il explique que «notre paysage familier est en train de changer profondément sous l'effet de phénomènes multiples, implacables, radicaux. Il y a beaucoup à réinventer. Et, dans cette aventure, nous pouvons renouer avec un souffle plus profond, dont la littérature ne saurait être absente.» En somme, de l'aventure tragique peut ressortir le meilleur. Et, selon toute vraisemblance, dans son esprit, cette issue heureuse, c'est à lui qu'on la devra, lui qu'aucun obstacle ne rebute: ni devenir président à 39 ans, en n'étant connu que depuis quelques années à peine et sans être soutenu par un parti, ni tenter d'amadouer Donald Trump pour le faire changer de position sur l'Iran ou l'environnement, ni prétendre amener les dirigeants allemands à renoncer à leur attachement viscéral à l'orthodoxie monétaire, ni s'attaquer aux rentes de situation, ni se confronter à des journalistes aussi agressifs que Jean-Jacques Bourdin et Edwy Plenel.

On en vient alors à se demander si Emmanuel Macron ne présume pas de ses forces et de sa capacité à faire partager ses idées à ses concitoyens et à nos partenaires. Ne se trompe-t-il pas à la fois d'époque, et sur ce que les gens attendent de lui? Il semble croire que les Français, qui l'ont préféré aux représentants des partis politiques traditionnels, l'ont fait parce qu'il serait «l'émanation du goût du peuple français pour le romanesque». N'est-ce pas, plus prosaïquement, parce que les candidats de ces partis se sont autodétruits, l'un en trempant dans des affaires douteuses, d'autres par leur radicalisme et leurs discours enflammés? Les électeurs qui se sont prononcés en sa faveur ont probablement été animés par un puissant désir de renouvellement, séduit par sa jeunesse et son côté fonceur prêt à prendre tous les risques, mais n'ont-ils pas, avant tout, estimé qu'il nous conduirait plus sûrement, non dans on-ne-sait-quelle aventure tragique, mais vers une reprise de la croissance et une réduction du chômage, quand ils n'ont pas simplement voulu s'opposer à la candidate d'extrême-droite?

Ce n'est pas d'un Bonaparte dont nous avons besoin, mais d'un Roosevelt ou d'un Mendès France.

Emmanuel Macron est peut-être «un personnage de roman» comme le suggère Philippe Besson, mais qui peut souhaiter vivre une «aventure tragique» pour lui fournir matière à exploit? L'«aventure» et le «tragique» sont certes des ingrédients romanesques, mais, en politique, ils apparaissent généralement comme les résultats d'une mauvaise gouvernance ou des accidents malheureux: en aucun cas comme des objectifs souhaitables. La signification du courage a changé de nature. Celui-ci réside plutôt dans des actions réfléchies qui visent à éviter les crises que dans des actes de bravoure. En prenant en charge les facteurs concrets qui déterminent peu ou prou, sinon le bonheur, du moins le bien-être des individus et la cohésion sociale, la politique a perdu son éclat, mais a gagné en sérieux, sinon toujours dans les comportements de ceux qui en font profession, du moins dans les objectifs qui lui sont généralement assignés. Ce n'est pas d'un Bonaparte dont nous avons besoin, mais d'un Roosevelt ou d'un Mendès France.

Comme on commence déjà à le voir, sa stratégie d'inspiration libérale soulève beaucoup de réticences et d'objections. L'aggravation de la situation ne suffira probablement pas à convaincre nos concitoyens et nos partenaires européens. Il faudra encore leur démontrer que cette stratégie est la mieux adaptée à la situation de la France et de l'Union européenne. Ce qui reste à prouver. Il est douteux qu'il puisse y parvenir en accolant des déclarations plus ou moins philosophiques et des mesures dont les justifications sont loin d'être toujours évidentes. On ne peut exclure que l'aventure tragique qu'il présente aujourd'hui comme devant entraîner une prise de conscience, prélude à une renaissance, ne s'achève en véritable tragédie.

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6 commentaires
  • GOLF007

    le

    Macron se prend pour un sous-Chateaubriand mâtiné d'un mauvais Talleyrand mais comme il vit à une époque de déculturation de masse, il fait croire à la populace des "petits-bourgeois" - comme il dit - qu'il est un grand esprit, un visionnaire, presque un aristocrate... Mais n'est pas Napoléon qui veut. Il ne reste qu'un courtisan qui a eu bcp de chances et des relations... Les formules creuses et fumeuses d'un élève très doué de classe prépa ne font pas un grand homme d'Etat mais au royaume des aveugles les borgnes sont rois. Trump ou Poutine ne sont peut-être pas de grands philosophes mais au moins ont-ils pour seule mission la défense leur peuple. Macron n'a pas de peuple, pas de nation, pas de patrie.

  • christianLL

    le

    C'est la litterature liberale. Les retraites, les APL etc doivent payer pour le benefice des plus riches. C'est la redistribution d'en bas vers le haut.

  • Jean Cauchois

    le

    Article de qualité bien vu et bien écrit. On voit en effet se dessiner chez EM une argumentation - et une personnalité - narcissique centrée autour du concept d'héroïsme et de sa propre personne ... qui justifierait par exemple de baisser les APL de 5 euros par mois au motif que d'autres sacrifient leur vie pour sauver des otages. Certains humoristes ont d'ailleurs intuiter ce caractère romanesque et infatué d'EM "sujet à des émois quand il se regarde dans la glace", se comparant régulièrement à Napoléon, De Gaulle ou Jupiter. Espérons que ce n'est que le contentement d'un Rastignac qui aurait réussi et que la lucidité et le réalisme l'emportent en dernier ressort.

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