Considéré en Europe comme l’un des penseurs les plus brillants dans l’étude de la violence et de la guerre, Pierre Hassner est mort, à Paris, samedi 26 mai, à l’âge de 85 ans. Ce spécialiste de philosophie politique a marqué la réflexion dans le domaine des relations internationales de 1945 à nos jours, et l’histoire du Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, où il a accompli l’esentiel de sa carrière, de 1959 à sa mort.
Né le 31 janvier 1933, à Bucarest, en Roumanie, le lendemain de la prise de pouvoir d’Hitler en Allemagne, Pierre Hassner, issu d’une famille bourgeoise juive originaire de Kichinev (Moldavie, à l’époque roumaine), survit avec sa famille au régime pro-nazi du général Antonescu, responsable des persécutions des juifs roumains durant la seconde guerre mondiale. Pour s’en protéger, la famille Hassner se convertit au catholicisme mais Pierre restera toute sa vie un inconditionnel athée, n’aimant pas trop se pencher sur son identité juive. Fils unique et choyé par un père agent de change et une mère femme au foyer, il fréquente le lycée français de Bucarest comme tous les enfants de familles roumaines et juives francophiles.
En 1948, un an après le début de la guerre froide et la mise en place du communisme en Roumanie, Pierre Hassner émigre en France avec ses parents et s’installe à Paris, rue du Ranelagh, au cœur du 16e arrondissement. Elève brillant – il obtient le bac à 16 ans en 1949-1950 au lycée Janson-de-Sailly –, il poursuit des études de philosophie à la Sorbonne, de 1950 à 1955, et intègre l’Ecole normale supérieure (ENS), en 1952. Trois ans après, il est premier à l’agrégation de philosophie à titre étranger.
Le « meilleur étudiant » de Raymond Aron
Le jeune normalien, traumatisé par le totalitarisme en Europe, est insatisfait de ce qu’il entend sur le marxisme à l’école de la rue d’Ulm, où la plupart des enseignants affichent leurs convictions communistes. Il trouve toutefois dans le séminaire du sociologue Raymond Aron une approche plus critique du « socialisme réel » et se lance sous sa direction dans une thèse de doctorat sur Kant et la liberté, qu’il ne finira jamais. Mais cette rencontre change sa vie. Une étroite amitié se noue entre les deux hommes, le disciple Hassner devenant l’assistant de recherche au CNRS de celui qu’il appelle « son maître à penser en relations internationales et en hygiène intellectuelle ».
Adoubé par Raymond Aron comme « son meilleur étudiant », Pierre Hassner côtoie, dès les années 1950, les hautes sphères intellectuelles du monde transatlantique et devient, en 1955, le correspondant à Paris de l’Institute for International Social Research. Recommandé par des universitaires français et américains – Ferdinand Alquié, Hadley Cantril, David Roderick, Jean Hyppolite, Raymond Aron –, le jeune chercheur décroche l’année suivante une bourse de la Fondation Rockefeller qui le mène à l’université de Chicago pour une durée d’un an (1956-1957).
Il vous reste 74.96% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.