Alors que la reconduction de Poutine pour un nouveau mandat à la tête de la Russie ne fait aucun doute, paroles d'Ardatov, petite ville à 400 km à l'est de Moscou. Un territoire frappé par la crise économique, dont partent les jeunes, où l'on votera Poutine... forcément. Reportage Marie-Pierre Vérot
- Marie Mendras Politologue, chercheur au CNRS et au CERI
- Alexander Bikbov Sociologue, chercheur associé au Centre d'études des Mondes Russe, Caucasien & Centre-Européen - CERCEC (EHESS/CNRS).
Ardatov, une petite ville de moins de 10 000 habitants, à l'est de Moscou, dans la région de Nijni Novgorod. Il fait moins 20 degrés dans les rues, où la neige crisse sous les pas.
Des petites maisons de bois ou en brique et un vote pour Poutine, avec plus ou moins d'enthousiasme
Ardatov, sa rue principale menant à l'église, son centre de culture physique, fierté des habitants, sa maison de retraite flambant neuve, ses usines qui ont fermé, ou réduisent la voilure, les salaires qui baissent, les pensions de retraite toujours insuffisantes. Ardatov qui s'éteint : plus de travail ou payé une misère. Ardatov dont la jeunesse part pour trouver de meilleures perspectives dans les grandes villes : Nijni Novgorod, Moscou, ou encore Saint-Pétersbourg. Ardatov et des potagers dans chacune des maisons, indispensables pour s'en sortir. Ici aussi, nous le verrons, la ville est pavoisée pour l'élection de dimanche. Les invitations à se rendre au vote se multiplient dans les boîtes aux lettres et l'on ira sans doute voter pour Poutine, avec plus ou moins d'enthousiasme.
Pas de suspense, pas d'alternative crédible non plus. Ce sera donc Poutine, pour le meilleur, ou plus probablement nous dit-on, pour que rien ne change. Nous croiserons Fediakova Svetlana Fedorovna, ouvrière dans une usine qui travaillait avant pour la défense mais aujourd'hui privatisée, une usine où les carnets de commande et les horaires de travail se réduisent. On n'embauche plus et les plus anciens y attendent la retraite.
Avec les 9000 roubles qu'elle reçoit aujourd'hui, c'est le salaire minimum, environ 120 euros, Svetlana vit petitement et espère juste que la situation n'empire pas. Dans un village où, liste-t-elle, les usines ferment, le poste de police, la banque ont déjà disparu et l'hôpital est menacé.
"La corruption est partout en Russie"
Tatiana nous accueille chez elle. Elle ne travaille pas pour pouvoir élever son dernier fils. Sergueï, son mari, retraité de la police travaille comme gardien du monastère de Diveyevo pour compléter sa petite pension. Beaucoup ont d'ailleurs un second boulot pour boucler les fins de mois. Comme Ivan, qui a quitté Ardatov et vient de terminer ses études à Nijni Novgorod. Il n'a pas trouvé de travail en rapport avec son diplôme et trime pour un salaire de misère. La corruption, dénonce-t-il, est partout en Russie.
C'est d'ailleurs pour cette raison et parce qu'il voudrait des réformes pour les petites gens qu'Alexander, musicien et constructeur de poêles à bois à Ardatov, n'ira pas voter.
Dans certains endroits, les employeurs font pression
Mais beaucoup dans le village se rendront sans doute aux urnes. D'autant que, dans certains endroits, les employeurs font pression. Le taux de participation pour ce plébiscite annoncé de l'homme fort de la Russie est d'ailleurs la seule inconnue d'un scrutin joué d'avance. Si elle y va, ce sera sans grande ferveur, laisse entendre Tatiana. Le scénario est écrit d'avance et la situation n'est pas si rose. Elle espère qu'il n'y aura pas de guerre et se souvient du traumatisme des années 90, après la Perestroïka, quand tout manquait dans les magasins et que l'on avait faim. Aujourd'hui, ce n'est pas comparable et Poutine, pense-t-elle, est l'homme de la situation. Il se soucie de son peuple. Et il protège le pays, complète Sergueï, son époux.
Un regain de foi orthodoxe et de sport appuyé par le président
Quand la situation économique se dégrade, explique le père Mikhail, les gens se tournent vers Dieu. De fait, l'église d'Ardatov fait le plein. L'église est l'un des piliers de la société. Ce regain d'orthodoxie est d'ailleurs appuyé par le président Poutine, qui aime à se montrer lors des grandes fêtes aux côtés du patriarche et se revendique comme orthodoxe et fervent croyant.
L'église, mais aussi le sport. L'autre grand lieu le plus fréquenté à Ardatov est le centre de culture sportive, récemment ouvert. La campagne de Poutine en faveur des activités sportives porte ses fruits. Là aussi trônent les drapeaux et les slogans patriotiques. Dans le stade de hockey sur glace, un slogan proclame "Quand tu protèges les portes (du hockey), tu protèges ta patrie".
Une fierté retrouvée
La protection de la patrie, la fierté retrouvée aussi de la Russie. Voilà qui anime l'historien local, ancien militaire. Il ira voter, sans faute assure-t-il, notamment parce que Poutine a fait de la défense du pays une de ses priorités.
Le culte des héros de la guerre, la guerre de 41-45 est omniprésent, notamment dans l'école la plus ancienne d'Ardatov qui abrite un musée sur le sujet et se souvient de ses héros.
Ce sera donc Poutine... forcément, à Ardatov comme dans le reste de la Russie. Mais si on lui sait gré de protéger le pays, si l'annexion de la Crimée aurait boosté sa popularité, la situation économique reste un sujet de préoccupation. Et Vladimir Poutine devra s'atteler à améliorer la situation alors que la pauvreté a crû et que les perspectives ne sont guère favorables. Sinon, il pourrait y avoir une multiplication des manifestations locales. Elles existent déjà en région, pour réclamer le paiement des arriérés de salaire ou le remboursement des sommes investies dans des projets immobiliers, gigantesques escroqueries. Le centre pour les réformes économiques et politiques publie une carte interactive de ces mouvements sociaux, régulièrement actualisée. Les inégalités face à la justice et la corruption sont aussi les critiques les plus partagées, même parmi les partisans de Poutine. Il lui faudra être attentif à ces demandes, estime Denis Volkov du centre indépendant Levada, s'il ne veut pas voir grandir le mécontentement, même si sa popularité reste incontestée notamment en raison de son image d'homme fort qui restaure la grande puissance de la Russie.
Marie-Pierre Vérot, avec Yulia Semina pour la traduction
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