Docteur en sciences politiques, Christophe Jaffrelot est directeur de recherches au Centre de recherches internationales de Sciences Po-CNRS. Il est notamment l’auteur d’Inde, l’envers de la puissance. Inégalités et révoltes (CNRS Editions, 2012).
Existe-t-il un « hindouisme » et quelles sont ses origines ?
A l’origine, l’hindouisme représente davantage une juxtaposition de religions qu’une religion homogène. On n’y trouve pas de Livre ou de dogme, pas de clergé unifié : les prêtres sont les desservants des temples de père en fils et ne suivent pas de formation commune. L’unité de base de l’hindouisme est en réalité la secte, émanation d’un maître spirituel, dont l’essence réside dans la transmission ininterrompue de la parole du gourou fondateur. Certains gourous ont une telle créativité qu’il est impossible de les classer ! Le célèbre Sai Baba [1926-2011] a, par exemple, emprunté à l’islam autant qu’à l’hindouisme. Les sectes sont traditionnellement cloisonnées et même rivales.
En outre, l’hindouisme connaît des variations en fonction de la caste. Par exemple, les lieux de culte des brahmanes, la plus haute caste, ne sont pas, d’après les coutumes, ceux des dalits (les ex-intouchables) – même si la Constitution de 1950, largement rédigée par un dalit, le Dr Ambedkar, prévoit l’ouverture des temples à tous les dévots sans distinction.
Comment cette hétérogénéité de castes et de sectes a-t-elle donné naissance à un mouvement nationaliste ?
Il a fallu des siècles pour qu’une communauté hindoue émerge. L’appellation « hindou » elle-même est venue de l’extérieur. Le mot, d’origine persane, a été utilisé par les envahisseurs musulmans pour désigner ceux qui vivaient au-delà de l’Indus et est entré dans le vocabulaire courant à partir du sultanat de Delhi, au XIe siècle. Comment les « hindous » auraient-ils pu se considérer eux-mêmes comme hindous alors qu’ils ne reconnaissaient rien qui leur soit extérieur ? Ils percevaient leur univers cognitif, et notamment l’ordre des castes, dans un rapport d’homologie avec l’ordre cosmique. Faute d’un « eux », il ne pouvait y avoir de « nous ».
Comment s’opérait alors l’assimilation des étrangers qui s’installaient en Inde ?
Ils étaient assimilés selon la logique du système des castes, en fonction de leur conformité à des règles rituelles dont les brahmanes (la caste des lettrés et notamment des prêtres) étaient les gardiens. Chacun pouvait trouver une place en fonction de son degré de conformité, et donc de pureté : sur cette échelle, on peut toujours ajouter des barreaux !
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