Asie

Trois candidats pour une place de président : sous le regard de la Chine, des élections taïwanaises à grands enjeux

Taïwan : élections cruciales sous la pression croissante de la Chine

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Temps de lecture
InfoPar la rédaction avec agences

Ce samedi, Taïwan, première démocratie libérale de langue chinoise, organise des élections présidentielles et parlementaires. Un scrutin suivi de près par la Chine, par Washington et par les marchés, dans une île qui est à la fois un pilier de la démocratie en Asie et un acteur clé de l’économie mondiale.

Le choix de ce petit territoire insulaire de 23 millions d’habitants, situé à seulement 180 kilomètres des côtes chinoises et revendiqué par le pays communiste, risque bien de fragiliser un peu plus encore les équilibres mondiaux. D’autant que, plus que jamais, ce scrutin s’apparente à un référendum populaire sur les relations avec l’encombrant pays de Xi-Jinping. Pékin revendique en effet Taïwan comme son propre territoire alors qu’il ne l’a jamais contrôlé et n’exclut pas de recourir à l'armée pour faire rentrer cette île dans son giron à un moment ou à un autre, de gré ou de force donc.

Une élection aux allures de référendum

Après huit ans, la présidente actuelle, Tsai Ing-wen, doit se retirer, atteinte par la limite des deux mandats. Son parti, le Parti démocrate progressiste (DPP), doit quant à lui faire face à une certaine lassitude de la part d’un électorat usé par les tensions avec Pékin. Pékin, qui déteste ouvertement le DPP, et présente cette élection comme un choix brutal entre la guerre et la paix, la prospérité et le déclin.

En substance, le résultat de cette élection revêt une signification profonde quant à la direction que prendra l’île de Taïwan dans ses relations internationales. Le choix à faire est clair : maintenir la priorité de sa relation avec les États-Unis ou rééquilibrer cette dynamique en renouant avec la Chine.

Dans un contexte géopolitique bouleversé, à commencer par la guerre en Ukraine dont on ne voit pas la fin, cette décision du peuple taïwanais va bien au-delà des frontières de l’île, car Taïwan représente la principale source de tension entre ces deux géants mondiaux. D’où l’importance de la réaction chinoise au résultat de cette élection qui va au-delà du simple choix d’un dirigeant pour l’île.

Trois candidats

Trois candidats se disputent la présidence, dans cette élection à un tour : le vice-président sortant Lai Ching-te du Parti démocratique progressiste (DPP), Hou Yu-ih du Kuomintang (KMT) et Ko Wen-je du petit Parti populaire de Taïwan (TPP).

Lai Ching-te, le dauphin

Le candidat à la présidence du Parti démocratique progressiste (DPP) au pouvoir, Lai Ching-te.

Le favori des sondages est Lai Ching-te, membre du DPP et actuel vice-président de Taïwan. Agé de 64 ans, ce fils de mineur perd son père alors qu’il n’est âgé que de deux ans, obligeant sa mère à élever seule ses six enfants. Une épreuve qui l’obligera à se construire autour d’une éthique et d’une rigueur sans faille, selon ses propres propos. Formation médicale de Harvard en poche, il exerce en tant que médecin néphrologue avant d’embrasser la carrière publique à Taïwan au milieu des années 1990.

Fervent défenseur du statut d’autonomie gouvernementale de l’île, M. Lai s’est toujours décrit, jusqu’à il y a peu, comme un "travailleur pragmatique pour l’indépendance de Taïwan". Récemment, il a ajusté ses positions, abandonnant cette ligne radicale au profit d’une approche plus modérée de l’identité Taiwanaise, alignée sur la présidente actuelle, Tsai Ing-wen.

Au cours de sa campagne, M. Lai a exprimé à plusieurs reprises le souhait de voir Taiwan et la Chine devenir "amis", soulignant qu’ils ne souhaitent pas être des ennemis et aspirant à voir la Chine jouir de la démocratie et de la liberté. Pékin, en retour, qualifie M. Lai de "fauteur de troubles de bout en bout".

Le choix de Hsiao Bi-khim comme colistière semble irriter encore davantage Pékin. Née au Japon et ayant grandi principalement aux États-Unis, elle renforce les liens de Taiwan avec ses alliés puissants, tout en posant des défis aux relations diplomatiques déjà tendues avec la Chine.

Pékin qualifie Mme Hsiao de "séparatiste irréductible de l’indépendance de Taiwan" et a pris des mesures restrictives à son encontre, interdisant aux investisseurs et aux entreprises liées à elle de travailler avec des organisations sur le continent chinois. Avec trois années d’expérience en tant que représentante de Taiwan aux États-Unis, elle a été la première femme à occuper ce poste.

Hou Yu-ih, le bien-aimé

Le candidat à la présidence du Kuomintang, Hou Yu-ih.

Le principal challenger de Lai Ching-te sera Hou Yu-ih, 66 ans. Enfant, M. Hou travaillait dans l’entreprise familiale d’élevage de cochons et de leur vente sur un marché local. Une expérience de dur labeur qu’il a toujours mise en avant comme lui ayant permis de bâtir sa carrière de policier. Notamment lors de l’arrestation de meurtriers de premier plan ou dans l’enquête relative à la tentative d’assassinat de l’ancien président Chen Shui-bian en 2004.

En 2010, l’ancien chef de police a fait le saut vers la politique. En 2018, il devient maire de New Taipei, la ville la plus peuplée de Taïwan. Il a été réélu massivement en 2022.

Ses faits d’armes en tant que policier et maire populaire ont fait de lui le choix principal du KMT, qui cherche à reconquérir le leadership de Taïwan après huit ans, et à renouer le dialogue avec Pékin.

M. Hou s’oppose à l’indépendance de Taïwan, mais il a jusqu’à présent évité de clarifier sa position sur la Chine au cours de cette campagne. Ce manque de clarté a suscité des critiques, en particulier lorsqu’il a esquivé une question sur la politique d’une "Chine unique" lors d’un forum universitaire en juin 2023, remettant en question sa capacité à gérer une diplomatie délicate.

Le candidat du KMT à la vice-présidence, Jaw Shaw-kong, est un commentateur politique bien connu et un ancien dirigeant du Nouveau Parti de droite. À 73 ans, il est depuis longtemps un fervent partisan de la "réunification" de Taïwan et de la Chine, bien qu’il ait récemment précisé que ce n’était pas une ambition qu’il poursuivrait s’il était élu, compte tenu des différences substantielles entre les deux parties.

Selon les derniers sondages, Hou Yu-ih dépasserait la barre des 30%.

 
 

 

 

 

Ko Wen-je, la troisième voie

Ko Wen-je, candidat du TPP.

Le troisième candidat, faisant suite à l’échec de l’accord de l’opposition visant à présenter un candidat unique, est Ko Wen-je. Avant de se lancer en politique il y a dix ans, Ko Wen-je était chirurgien traumatologue de renom et a même été maire de la capitale. En 2019, après avoir navigué entre les deux principaux partis, il fonde le Parti populaire de Taïwan (TPP), un parti centriste adoptant des positions populistes.

Ce médecin atypique n’a d’ailleurs pas hésité à publier une vidéo de rap entraînante pendant son mandat de maire de Taipei, où il encourageait les citoyens à "faire les choses correctement".

Ko Wen-je se présente comme l’alternative, une troisième voie, entre celle de la confrontation avec la Chine et celle de la soumission.

À la tête du Parti du peuple taïwanais (TPP), Ko Wen-je a gagné en popularité parmi les jeunes électeurs et a même, à un moment donné, surpassé M. Lai. Cependant, au fil de la campagne, il a perdu du terrain, les prévisions indiquant qu’il obtiendrait environ 20% des voix.

En 2014, Ko Wen-je s’est fait connaître en apportant son soutien au "Mouvement Tournesol" en 2014, lorsque des étudiants ont protesté contre ce qu’ils percevaient comme une influence grandissante de la Chine sur l’île.

Élu maire de Taipei plus tard cette année-là, bien qu’étant un novice en politique, il a bénéficié du soutien des militants du Mouvement Tournesol et du DPP. Au cours de ses huit années de mandat, sa politique a évolué. Il a développé les relations de Taipei avec la Chine continentale, en particulier avec la municipalité de Shanghai.

En 2019, il a créé le TPP, se positionnant comme une alternative au DPP et au KMT. Aux élections de 2020, le TPP a remporté cinq sièges sur 113, devenant ainsi le troisième parti au parlement taïwanais.

Reconnu pour son style concis, M. Ko a critiqué le DPP en le qualifiant de "pro-guerre", tout en reprochant au KMT son "trop de déférence".

Cynthia Wu, 45 ans, la colistière de M. Ko, est députée en exercice et héritière d’un des plus grands conglomérats de Taïwan, le groupe Shin Kong. Certains suggèrent que Mme Wu, ex-analyste en investissements chez Merrill Lynch à Londres, a été sélectionnée en raison de sa richesse.

Certains analystes estiment que M. Ko et Mme Wu, en tant que membres de l’élite aisée, pourraient avoir du mal à connecter avec l’électorat plus large, qui se préoccupe également des questions d’emploi et d’économie.

Bien que les sondages le placent actuellement autour de 20%, Ko Wen-je, avec son langage direct voire offensant, attire particulièrement les jeunes électeurs. Sa démarche peu conventionnelle séduit malgré une légère baisse dans les sondages.

 

 

Pékin attend, en embuscade, et le fait savoir.

Cette semaine encore, de hauts responsables militaires chinois ont réitéré à leurs homologues américains que la Chine ne ferait "jamais le moindre compromis" sur Taïwan. Washington enverra une "délégation informelle" après le scrutin, a annoncé une haute responsable américaine. "Il serait provocateur de la part de Pékin de répondre (au résultat de l’élection) avec plus de pression militaire ou des actions coercitives", a-t-elle mis en garde.

Depuis 2016, la Chine a coupé toute communication de haut niveau avec Taïwan pour protester contre l’élection de la présidente actuelle, Tsai Ing-wen, également du DPP. Et la présence militaire chinoise dans le détroit s’est intensifiée : cette semaine quatre ballons chinois ont franchi la ligne médiane séparant l’île autonome de la Chine, selon le ministère taïwanais de la Défense, tandis que dix avions et quatre navires de guerre ont été détectés. "Les menaces militaires ont pris une autre dimension", souligne Françoise Mengin, directrice de recherche sur la Chine au CERI-Sciences Po Paris. "Il y a de plus en plus d’incursions de chasseurs chinois de l’autre côté de la ligne médiane", ce qui accroît le "risque d’accident".

Le spectre de l’invasion

Une invasion chinoise de Taïwan aurait des "conséquences désastreuses" sur le plan mondial, prévenait en août le ministre taïwanais des Affaires étrangères Joseph Wu, invoquant l’importance de l’île en matière de voies de navigation et son industrie de semi-conducteurs.

Ces composants sont indispensables à l’économie mondiale, des voitures aux téléphones portables en passant par les missiles. Taïwan "produit à peu près 70% des semi-conducteurs dans le monde", indique Mary-Françoise Renard, professeure à l’Université Clermont-Auvergne et spécialiste de l’économie chinoise.

Les conséquences d’un conflit seraient également catastrophiques pour le commerce : plus de 50% des conteneurs transportés dans le monde transitent par le détroit de Taïwan. Selon le groupe Rhodium, un blocus de l’île – comme Pékin l’a simulé lors d’exercices militaires en avril 2023 – coûterait à l’économie mondiale "bien plus de 2000 milliards de dollars", au minimum.

 

Déclic et des claques

Pour voir ce contenu, connectez-vous gratuitement

Plus généralement, "il est dans l’intérêt du monde entier de voir Taïwan préserver son autonomie, sa liberté et sa démocratie", estime Sarah Liu, professeure à l’université d’Edimbourg, décrivant l’île comme "l’une des démocraties les plus solides d’Asie".

Elle cite la loi sur la sécurité nationale de Hong Kong pour mettre en garde contre les velléités de Pékin : "Le monde a reconnu l’importance d’empêcher un régime autoritaire de trop s’étendre, car cela a des implications pour la sécurité et la démocratie dans le monde".

L’île défend son modèle de démocratie, en termes de liberté d’expression et de la presse, et organise régulièrement des élections locales. En 2019, elle a été pionnière en Asie en légalisant le mariage entre personnes du même sexe. "Taïwan est une démocratie tellement vivante" et "je pense que les Taïwanais aiment le fait qu’ils fonctionnent plus ou moins comme un pays, avec leur propre gouvernement", renchérit James Char, spécialiste de la Chine à l’Institut de défense et d’études stratégiques de Singapour.

Le réseau social chinois Weibo censure un hastag lié à la présidentielle

Le réseau social Weibo, équivalent chinois de la plateforme X, a bloqué samedi un hashtag lié à l'élection présidentielle à Taïwan, l'un des sujets les plus discutés en ligne en début de matinée, a constaté l'AFP.

Preuve, une fois de plus, que le sujet de l'élection taiwanaise dérange est fortement surveillé et cadenassé au sein de l'empire du milieu.

Inscrivez-vous aux newsletters de la RTBF

Info, sport, émissions, cinéma... Découvrez l'offre complète des newsletters de nos thématiques et restez informés de nos contenus

Tous les sujets de l'article

Articles recommandés pour vous