Histoire d’une notion. Etre désorienté, chacun sait ce que cela veut dire. Mais que signifie, au juste, être « désoccidentalisé » ? Les réactions internationales à l’attaque sanglante perpétrée le 7 octobre par le Hamas contre Israël ont montré, une nouvelle fois, la division du monde. Si le camp occidental élargi (Amérique du Nord, Australie, Europe, Japon, etc.), avec le renfort de l’Inde et d’une poignée d’autres Etats parmi lesquels l’Argentine, le Sénégal ou la Mongolie, a fermement condamné cette agression, la très grande majorité des pays du Sud ont refusé de dénoncer un agresseur, se bornant à prôner la désescalade. Cela constitue un défi majeur pour les Etats-Unis, allié historique d’Israël, tout comme pour l’Union européenne (UE), car « ce conflit conduit de nouveau à distinguer, voire à isoler l’Occident du reste du monde », note le politiste Bertrand Badie.
Depuis trois décennies, la mondialisation de l’économie a eu comme contrepartie l’affirmation politique et économique des pays dits « du Sud global ». Sous cette appellation se sont regroupés des pays qui entendent privilégier la coopération Sud-Sud et qui, surtout, ne veulent plus s’aligner sur les positions du camp occidental. Ainsi, les BRICS, club créé en 2011 et qui rassemble le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud, s’est élargi, il y a trois mois, à six autres nations du « Sud » : Arabie saoudite, Argentine, Egypte, Emirats arabes unis, Ethiopie et Iran. Leur ambition est de peser sur le plan géopolitique et économique, en cherchant notamment à contourner la toute-puissance du dollar dans les échanges internationaux.
« Il existe une dynamique des pays du Sud, qui veulent à la fois affirmer leur identité et profiter des effets d’aubaine », ajoute Bertrand Badie. Ces pays réagissent en fonction de leurs intérêts, d’où le passage du non-alignement au multi-alignement, cher par exemple à l’Inde ou au Brésil. Le Sud global juge ainsi logique de condamner l’invasion de l’Ukraine, le 24 février 2022, au nom de la défense du principe de souveraineté, mais tout aussi logique de rejeter les sanctions occidentales contre la Russie, qui reste un partenaire économique. En outre, pour certains d’entre eux, la Russie garde l’aura de l’URSS, qui a soutenu les mouvements de décolonisation dans les années 1950 et 1960. Qui plus est, ils estiment que l’invasion de l’Ukraine par la Russie est avant tout un conflit occidental. Et ils dénoncent aujourd’hui le deux poids, deux mesures de l’Occident entre l’Ukraine et Gaza.
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