Les affrontements qui ont débuté le 15 avril 2023 au Soudan ont mis un terme à un processus politique quelque peu désordonné. Face à une crise soudanaise qui se prolonge, les pays frontaliers comme les pays du Golfe rebattent les cartes de leur influence régionale.
Après l’arrestation en avril 2019 des principaux cadres du régime qui avait gouverné le Soudan depuis juin 1989, à commencer par son président Omar el-Béchir, une transition démocratique ambigüe s’était alors mise en branle. Les Forces armées soudanaises (SAF) commandées par le général Abdel-Fattah al-Burhan et les Forces (paramilitaires) de soutien rapide (RSF) du général Mohamed Hamdan Dagolo, dit Hemedti, continuaient d’avoir la haute main sur les décisions prises par un gouvernement civil dirigé par le Premier ministre Abdallah Hamdok.
Le coup d’État d’octobre 2021 mettait à bas les acquis de cette période civile et rebattait les cartes en faveur des militaires. Rapidement, des tenants de l’ancien système furent amnistiés, libérés et même promus à nouveau dans l’appareil d’État civil et militaire pendant que les partisans d’une purge des islamistes dans l’appareil d’État étaient, eux, emprisonnés. Pourtant, le nouveau pouvoir militaire mis sous pression financière par les principaux donateurs occidentaux dut, après des mois de procrastination, accepter un nouveau processus politique impliquant l’opposition civile et démocratique. Celui-ci, lancé le 5 décembre 2022 avec un fort appui occidental et onusien, devait se conclure le 11 avril 2023 par la sélection d’un Premier ministre civil et une reprise en main toute relative des forces armées réunifiées à l’intérieur des SAF.
Paradoxalement, cette dernière exigence qui soulevait des questions importantes tant les deux chefs militaires n’avaient cessé de cultiver leurs différences depuis le coup d’État, n’avait pas bénéficié d’une grande attention internationale, les civils soudanais dans les dernières semaines avant la sélection d’un Premier ministre s’adonnant à leur sport favori, la dispute sur des objectifs tactiques qui concernaient pour l’essentiel les nominations dans le futur gouvernement civil. L’enjeu pourtant n’était pas mince.
Si les SAF bénéficiaient de la légitimité nationale et d’une grande empreinte dans la vie économique, bien au-delà du secteur militaire, les RSF représentaient l’essentiel des forces capables de combattre au sol et avaient une expérience du combat acquise non seulement dans la répression des conflits au Darfour, au Sud Kordofan et dans la région du Nil Bleu, mais également dans leur implication au Yémen et en Libye. De plus, leur dirigeant, homme d’affaires avisé, avait su s’enrichir grâce à ces implications internationales et à ses affaires plus personnelles qui concernaient les travaux publics, l’import-export et l’exploitation de l’or. La rivalité entre ces deux corps guerriers s’était encore aiguisée depuis octobre 2021. Lorsque les SAF exigeaient le monopole de la force armée, les RSF rappelaient que l’armée soudanaise n’avait jamais été purgée des partisans de l’ancien régime, qui ne rêvaient que de restauration.
La guerre entre SAF et RSF dure depuis plus de trois mois et les observateurs les plus optimistes doutent qu’elle puisse s’arrêter très rapidement en dépit des déclarations faites par chaque partie sur une victoire toute proche. Ce conflit remet à l’ordre du jour les tensions régionales qui avaient donné au gouvernement soudanais une certaine autonomie malgré la déshérence de son économie. Beaucoup d’acteurs régionaux ont eu un positionnement initial relativement prudent, presque neutre, à l’exception de l’Égypte. La guerre durant, leur entendement des enjeux va changer et leur posture va évoluer, probablement vers un engagement officieux et/ou officiel plus important en faveur d’une des parties au conflit. La description faite ici peut donc évoluer, même si les raisons de ce changement sont énoncées dans l’analyse qui suit. Il s’agit, trois mois après le début des affrontements, de comprendre quelle nouvelle configuration régionale est en train d’émerger et si celle-ci est congruente avec la recherche de la paix désirée par la population soudanaise.
