Présidentielle en Turquie : « Il faut accepter qu’Erdogan bénéficie du soutien de son peuple »

Un partisan d’Erdogan tient une affiche sur laquelle on peut lire « Nous vous aimons chef », à Ankara, en Turquie, le 15 mai 2023.

Un partisan d’Erdogan tient une affiche sur laquelle on peut lire « Nous vous aimons chef », à Ankara, en Turquie, le 15 mai 2023. ADEM ALTAN/AFP

Le président sortant a obtenu 49,5 % des voix et arrive en tête du premier tour de l’élection présidentielle, devant le leader de l’opposition Kemal Kiliçdaroglu. Un résultat qui conforte Erdogan et sa politique, analyse le chercheur Bayram Balci.

L’espoir n’aura pas suffi en Turquie, enfin pas tout à fait. Le président sortant Recep Tayyip Erdogan a obtenu 49,5 % des voix et arrive en tête du premier tour de l’élection présidentielle. Devant son adversaire Kemal Kiliçdaroglu, qui a obtenu 45 % des suffrages. Un résultat décevant pour celui qui est à la tête d’une coalition de six partis d’opposition, réussissant tout de même à empêcher le « reis » d’être directement élu (il faut 50 % des voix).

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Alors que le Conseil électoral suprême a annoncé le déroulement du second tour le 28 mai, Bayram Balci, chercheur au Centre de Recherches internationales de Sciences Po, décrypte le résultat pour « l’Obs ».

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Le 9 mai, vous disiez dans « l’Obs » que « le modèle d’Erdogan est à bout de souffle ». Le président sortant termine finalement en tête du premier tour. Comment l’expliquez-vous ?

Bayram Balci. Je me suis trompé. Mais c’est le paradoxe du système turc : quand il y a un tel niveau de contestation accompagné d’une crise économique, c’est logique de penser que son modèle est à bout de souffle et qu’il va être sanctionné par les urnes. Finalement non, c’est une autre rationalité. Au moment de passer à l’acte, les électeurs ont massivement voté pour Erdogan. Il y a eu 90 % de participation, donc les gens ont signifié leur soutien.

Aux élections parlementaires qui ont eu lieu en même temps, son parti politique [l’AKP] est la première force du pays avec 35 % des voix. Sa coalition est largement majoritaire avec plus de 360 députés sur 600 sièges. Et à la présidentielle, il est presque à 50 %, ce n’est pas rien. Mais ça ne veut pas dire que son modèle est bon, mais il est visiblement accepté, ce qui est inquiétant. Je me demande parfois si la Turquie ne devient pas comme la Russie.

Crise économique, gestion désastreuse du séisme en février, usure du pouvoir, corruption… Les raisons étaient pourtant nombreuses pour les Turcs de voter contre Erdogan. Pourquoi ce soutien massif ?

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Probablement que son discours de la patrie en danger a joué. Les électeurs ont estimé avoir besoin de lui pour garder la stabilité sécuritaire. Oui, il y a malheureusement des gens en prison, mais en même temps, il n’y a pas d’attentat ou d’attaque du PKK [Parti des Travailleurs du Kurdistan] ou de Daech.

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Une autre raison, c’est que l’opposition, bien qu’unie, n’est pas apparue assez crédible pour diriger le pays. Elle a pu apparaître trop hétéroclite et donc susceptible de se quereller une fois au pouvoir sur les sujets importants. Les électeurs ont donc pu se dire que l’unité contre Erdogan ne fait pas un programme.

Pour autant, est-ce que la tenue d’un deuxième tour est une défaite pour Erdogan ?

En dépit de la réforme constitutionnelle de 2017 qui a rendu le système électoral plus compliqué, il obtient 49 % des voix. Et il n’est pas loin d’éviter le deuxième tour où il arrive avec une avance de quatre points sur Kiliçdaroglu. Donc c’est une victoire inachevée, qu’il peut concrétiser le 28 mai.

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Je suis heureux de voir qu’il n’y a pas eu de tricheries ou de violence, c’est plutôt rassurant. Il y aura toujours des petites contestations mais l’opposition était prête avec des observateurs dans tout le pays. Il faut juste accepter la réalité : Erdogan bénéficie du soutien de son peuple.

Comment voyez-vous le second tour qui aura lieu le 28 mai ? On parle déjà d’un arbitrage du parti nationaliste, arrivé troisième avec environ 5 % des voix.

Sinon Ogan [dissident du parti nationaliste MHP] va négocier avec les deux candidats et va faire monter les enchères. Ces 5 % sont très précieux et valent très chers. Il va certainement demander la vice-présidence ou des ministères pour ses collègues.

Une partie de l’opposition réunie autour de Kiliçdaroglu est nationaliste donc il est possible de trouver un compromis entre eux. Mais en face, il y a aussi un parti nationaliste où Erdogan a d’ailleurs passé une partie de sa carrière. Le président sortant est d’ailleurs favorisé dans les négociations parce qu’il est arrivé premier et il va utiliser l’argument : « On a une majorité au Parlement, soyez cohérent et votez pour moi pour permettre un fonctionnement normal des institutions. »

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Si malgré tout Erdogan perd au deuxième tour, pensez-vous qu’il quittera le pouvoir pacifiquement ?

Pour moi, il acceptera sa défaite. C’est ce qu’il a d’ailleurs annoncé. Il n’a aucun intérêt de contester la légitimité des urnes, dont il sait que les Turcs sont respectueux. Inversement, si Erdogan gagne, il n’y a pas de raison qu’il change de politique puisqu’elle marche. C’est ce qui est triste.

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