Oligarchie : épisode • 56 du podcast Les termes du débat

James Tissot, Le cercle de la Rue Royale, 1868
James Tissot, Le cercle de la Rue Royale, 1868
James Tissot, Le cercle de la Rue Royale, 1868
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Le terme d’oligarchie a servi de grille de lecture des systèmes politiques post-soviétiques, avant de se répandre partout pour dénoncer la collusion entre argent et pouvoir. Dans les médias ou les institutions, ce discours anti-élites interroge : dans quelle mesure décrit-il une réalité française ?

Avec
  • Marie Mendras Politologue, chercheur au CNRS et au CERI
  • Anne Monier Docteure en sciences sociales et chercheuse à la chaire Philanthropie de l'Essec

Pour celles et ceux qui, comme moi, ont fait des études classiques dans les années 1970-80, l’oligarchie renvoyait à une période historique révolue, marquée par les écrits de Platon, d’Aristote puis par certaines pratiques de la République romaine.

Mais vint, dans les années 1990, la chute de l’URSS, l’arrivée de Boris Eltsine au pouvoir et le découpage de pans entiers de l’économie ex-soviétique confiée à des proches devenus des oligarques.

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Un qualificatif devenu rapidement méprisant voire insultant, symbolisé par des hommes richissimes courant les mers du globe sur des super yachts. Un terme recouvrant un mélange de pouvoir politique, de pouvoir économique et de corruption.

Mais pourquoi donc limiter l’usage de ce terme d’oligarques à la seule ex-URSS, que ce soit en Russie, au Kazakhstan ou en Ukraine : n’y aurait-il pas des oligarques aux Etats-Unis ou en Europe, en Amérique latine et en Asie ?

Pour en débattre, Emmanuel Laurentin reçoit Marie Mendras, politologue, spécialiste de la Russie, chercheuse au CNRS et au CERI (Centre d'Etudes et de Recherches Internationales), professeure à Sciences-Po ; Anne Monier, sociologue, chercheuse à la chaire philanthropie de l’ESSEC.

« En Russie aujourd’hui et depuis 20 ans, on a une autocratie qui fonctionne grâce à la montée du pouvoir d’individus qui se partagent les ressources et les contrats d’Etat »

« L’oligarchie, c’est un ensemble de personnes, de clans, de communautés, qui partagent le pouvoir » explicite Marie Mendras, « l’emploi de ce terme renvoie au fait de ne pas respecter les règles, d’avoir des passe-droits et des privilèges ». Elle revient sur la genèse russe de cette terminologie : « jusqu’en 1990 et 1991, toute l’économie était administrée, dépendante de l’Etat-parti […] et il a fallu privatiser les mastodontes d’Etat soviétiques pour reprendre la production ». Les hommes d’affaires qui ont récupéré les structures économiques, ces oligarques, se mobilisent ensuite autour de Boris Eltsine : « il était impopulaire, et il a fallu que les oligarques s’investissent dans la campagne de 1996. Pour la première fois de l’histoire russe, l’argent devient le nerf de la politique ». Selon elle, Vladimir Poutine a consolidé son régime en faisant le tri dans cette oligarchie : « c’est la fin des élites politiques, économiques, culturelles qui ne mangent pas dans la main du Kremlin […] et il n’y a donc plus d’oligarchie puisque Poutine lui-même est l’autocrate et l’oligarque le plus puissant ». Concernant l’application de cette grille de lecture à l’Occident, elle appelle à faire la différence entre les systèmes démocratiques et l’oligarchie russe des années 1990 : « dans nos régimes occidentaux, même s’ils peuvent mal fonctionner, les plus riches utilisent des méthodes qui coûtent cher pour tirer à soi la réglementation, sans être des criminels. En revanche, en Russie, on parle d’un système criminel, construits hors du droit ».

« On parle d’un mot très médiatisé et instrumentalisé, mais il faut voir ce que recouvre le mot : par exemple, les Pinçon-Charlot considèrent qu’il y a une oligarchie en France »

« L’oligarchie, c’est la question de la distribution du pouvoir » ajoute Anne Monier, « et ce n’est pas la même chose d’accéder au pouvoir grâce à ses richesses et être dans l’influence de la classe politique : les élites économiques ont plutôt tendance à influer sur les politiques pour défendre leurs intérêts économiques et leurs richesses ». Elle insiste sur l’importance du phénomène de défense de la richesse des élites : « le politiste Jeffrey Winters parle de ‘défense des revenus’ où les cabinets d’avocat, les gestionnaires de fortune vont sécuriser la fortune des milliardaires et consolider leurs acquis ». En s’appuyant sur l’exemple de la philanthropie, elle observe une « mainmise progressive des élites économiques sur des domaines plutôt réservés au public, comme l’éducation ou la santé » ou dans le domaine de la transition énergétique : « l’emprise des élites sur la crise climatique est une question centrale ». Malgré tout, il est compliqué de parler d’oligarchie en France pour elle : « on peut plutôt parler d’éléments oligarchiques, de situations dans lesquelles des personnes ayant des capitaux ont de plus en plus de pouvoir et posent des problèmes à la démocratie ».

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