C’est un pays où les conflits s’entremêlent depuis huit ans aux dépens d’une population exsangue. Mais depuis ces dernières semaines, le Yémen suscite un optimisme, rare mais prudent. Le rétablissement annoncé le 10 mars des relations diplomatiques entre l’Arabie saoudite et l’Iran, qui s’affrontent par procuration depuis 2015 sur le sol yéménite, passe pour un signe encourageant d’une possible décrue du conflit. D’autant que les combats entre les forces progouvernementales et la rébellion houthiste ont déjà diminué de façon très notable depuis la trêve parrainée par l’ONU en avril 2022, et même depuis son expiration début octobre.

« Il y a une lueur d’espoir liée à la volonté des Saoudiens de se retirer qui permettrait éventuellement de régler une partie des problèmes, c’est-à-dire de permettre aux Yéménites dans les zones houthistes de ne plus vivre avec la crainte d’être bombardés, ce qui est effectif depuis un an. Mais on a eu une certaine tendance à percevoir la guerre à travers l’implication saoudienne et à en faire le seul problème. Or ça n’épuise absolument pas la complexité de la situation », alerte Laurent Bonnefoy, politologue et spécialiste du Yémen.

Surtout, insiste Helen Lackner, chercheuse associée à l’European Council for Foreign Relations, « c’est toujours une erreur de penser que les Iraniens donnent des ordres aux houthistes, qui font ce qu’ils veulent ». Plus que le rapprochement saoudo-iranien, vu positivement à bien des égards pour la région, mais « qui a peu de rapport avec la situation au Yémen », selon la spécialiste, l’attention se porte sur les discussions en cours entre Saoudiens et houthiste depuis novembre.

Si le contenu de ces échanges organisés à Mascate (Oman) est tenu secret, une chose semble acquise : la détermination du royaume saoudien à sortir de cette guerre, dans laquelle Mohammed Ben Salmane, alors ministre de la défense, s’est lancé il y a presque huit ans, avec la conviction naïve que l’intervention militaire durerait six semaines. Aujourd’hui, le prince héritier veut vite sécuriser ses frontières pour se consacrer entièrement à son développement économique et à son programme de réformes ­ « Vision 2030 ». Une telle issue serait à double tranchant pour cette rébellion zaydite (branche de l’islam chiite).

« Ces discussions vont probablement mener à un accord entre houthistes et Saoudiens. Les Saoudiens sont prêts à signer n’importe quoi, le plus vite possible, relève ­Helen Lackner. Ce qui peut l’empêcher de voir le jour, ce sont les houthistes. » Et Laurent Bonnefoy d’ajouter : « En cas d’accord, ils seront les principaux gagnants. Mais ils ont peu de raisons d’aller vite et de lâcher du lest. Ils tiennent la capitale Sanaa et sont vus comme des interlocuteurs. Le maintien du blocus est abandonné, comme le principe de les désarmer et leur mise au ban. »

Malgré cette légitimation de fait, un retrait saoudien ne serait pas sans risque pour les houthistes. « Leur mécanisme principal de contrôle sur la population, et surtout sur les tribus qu’ils combattent, est l’existence d’un ennemi commun. Une fois que cet ennemi – les Saoudiens – a disparu, il leur sera plus difficile de tenir la population, qui les apprécie peu », estime la chercheuse.

Quel que soit le calendrier d’un tel accord, et ses conséquences, son coût sera porté par les Yéménites sous le joug houthiste. « C’est un régime super policier et répressif, qui a emprisonné des gens pour des tweets ! Ils contrôlent tous les médias, et sont un désastre pour les femmes », résume Helen ­Lackner. À l’échelle du pays morcelé, l’Unicef estime qu’un enfant meurt toutes les dix minutes de « causes évitables » liées à la pauvreté.

(1) Yemen in Crisis, Devastating Conflict, Fragile Hope (Saqi, 2023, non traduit).