De l’opium au captagon, le Moyen-Orient sous emprise : épisode • 3/3 du podcast Toxicomanies : un monde accro

Saisies policières exposés lors d’une cérémonie qui a conclu les manœuvres antidrogue dans la ville de Zahedan, au sud-est de l’Iran, le 20 /05/2009 ©AFP - Behrouz Mehri
Saisies policières exposés lors d’une cérémonie qui a conclu les manœuvres antidrogue dans la ville de Zahedan, au sud-est de l’Iran, le 20 /05/2009 ©AFP - Behrouz Mehri
Saisies policières exposés lors d’une cérémonie qui a conclu les manœuvres antidrogue dans la ville de Zahedan, au sud-est de l’Iran, le 20 /05/2009 ©AFP - Behrouz Mehri
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Qu'il s'agisse de l'opium, consommé depuis des siècles au Moyen-Orient, ou des drogues de synthèse comme le captagon, qui ont récemment séduit les classes moyennes, les Etats de la région entretiennent l'omerta sur la toxicomanie en se limitant à une réponse répressive.

Avec
  • Jean-Pierre Filiu Professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain
  • Elena Qleibo Coordinatrice à l’ONG Solidarités International et chercheuse associée à l'IFPO à Amman

Les effets du haschich et de l'opium sont connus depuis des millénaires au Moyen-Orient. Ces drogues contemplatives étaient utilisées par des confréries religieuses, notamment les soufis, pour créer un état supérieur de conscience. Elles pouvaient aussi être consommées pour se soigner ou dans le but de provoquer quelques songes sensuels comme dans les Mille et une nuits lorsqu'un homme ruiné et malade se réfugie dans un hammam où un client partage avec lui un morceau de haschich. Elles sont aujourd’hui concurrencées par d’autres stupéfiants comme la cocaïne ou l’héroïne, mais aussi des drogues de synthèse avec la méthamphétamine et surtout, le captagon, produit et vendu par l’entourage de Bachar al-Assad pour financer le régime syrien. Face à cette épidémie, les Etats gardent un silence coupable et peu de moyens sont consacrés à cette question dans les politiques de santé quand celle-ci existent.

Du shisheh iranien au captagon saoudien, comment l’usage de ces produits s’est étendu aux classes moyennes, bien au-delà du public précaire des toxicomanes mis en avant dans le film La loi de Téhéran ? Comment les régimes autoritaires qui régentent la région tentent de juguler ce phénomène aux conséquences désastreuses ? Et enfin, comment cette question de santé publique a pu être instrumentalisée par les gouvernements à des fins politiques et idéologiques ?

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Julie Gacon reçoit Jean-Pierre Filiu, professeur des universités en histoire du Moyen-Orient contemporain.

Le Coran est d’un silence assourdissant sur la prise de drogue. À l’époque du prophète, c’était principalement l’alcool qui posait problème d’où la condamnation de l’ivresse. Jusqu’au XIIe siècle et la vague du haschich venue d’Asie, l'utilisation de substances psychotropes était très limitée, dans des domaines comme la liturgie ou la médecine” explique Jean-Pierre Filiu.

L’Arabie saoudite et l’Iran présentent un parallélisme frappant sur la question de la drogue. Ces deux théocraties ont une incapacité évidente à avoir prise sur leur propre société. C’est dans la classe moyenne urbaine que se fait la bascule, séduite par ce mythe de drogues actives qui permettent de briller en société, d’être plus performant au travail… En Arabie saoudite, le captagon le plus cher porte le nom de Mohamed ben Salman, une élément révélateur du prestige social qu’on lui associe” analyse Jean-Pierre Filiu face à la toxicomanie de masse qui caractérise les deux États.

Pour aller plus loin :

Seconde partie : le focus du jour

Dans l’enfer de Gaza, les paradis artificiels

La consommation de drogues était rare dans la société conservatrice de Gaza mais les analgésiques et la marijuana sont maintenant courants, 04/11/2009
La consommation de drogues était rare dans la société conservatrice de Gaza mais les analgésiques et la marijuana sont maintenant courants, 04/11/2009
© AFP - Mohammed Abed

Avec Elena Qleibo, coordinatrice à l’ONG Solidarités International et chercheuse associée à l'IFPO à Amman.

Entassés sur un territoire de 40 kilomètres de long et 12 de large, les plus de deux millions d’habitants de la bande de Gaza composent avec une existence oscillant entre chômage endémique, coupures d’électricité et frappes israéliennes régulières. Selon une enquête conjointe de l’OMS et du ministère de la Santé palestinien, 10 000 Gazaouis consommeraient régulièrement de la drogue, tout particulièrement du tramadol, pour adoucir un quotidien rendu plus difficile encore par le blocus imposé par Israël depuis 2007. Un phénomène que le Hamas, qui administre Gaza, tente de juguler par la répression.

L’addiction au tramadol est un tabou parmi tant d'autres dans la société gaziote, comme dans toute société patriarcale. Il n’y a pas d’homosexualité, il n’y a pas de violence intrafamiliale, il n’y a pas de crimes d’honneurs, il n’y a pas de drogues… [Le Hamas] essaye de rendre le phénomène invisible mais c’est impossible d’autant que le blocus l’exacerbe. Les jeunes notamment essayent de fuir, de quelque manière que ce soit. Le tramadol est un analgésique, c’est très utile pour vivre sans espoir” observe Elena Qleibo.

Pour aller plus loin :

Références sonores & musicales

Une émission préparée par Barthélémy Gaillard.

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