Guerre au Yémen : à qui va profiter le rapprochement entre l’Arabie Saoudite et l’Iran ?

Un journal local iranien annonçant en première page l'accord conclu entre l'Iran et l'Arabie saoudite sous l'égide de la Chine, le 11 mars 2023. ©AFP - ATTA KENARE
Un journal local iranien annonçant en première page l'accord conclu entre l'Iran et l'Arabie saoudite sous l'égide de la Chine, le 11 mars 2023. ©AFP - ATTA KENARE
Un journal local iranien annonçant en première page l'accord conclu entre l'Iran et l'Arabie saoudite sous l'égide de la Chine, le 11 mars 2023. ©AFP - ATTA KENARE
Publicité

Le président iranien Ebrahim Raïssi a salué l’invitation du roi saoudien Salmane à se rendre à Ryad pour approfondir le rapprochement, historique, entre les deux pays. Au Yémen, alors que les forces gouvernementales et les houthis s'opposent toujours, à qui va profiter ce rapprochement ?

Avec
  • Laurent Bonnefoy Politologue spécialiste de la péninsule arabique,chargé de recherche au CNRS, au CERI et au centre français d’archéologie et de sciences sociales de Sanaa

Le 25 mars, cela fera neuf ans que la péninsule arabique abrite un conflit qui a provoqué la mort de près de 400 000 personnes et l'une des pires tragédies au monde : la guerre au Yémen. La guerre oppose depuis 2014 les rebelles houthis soutenus par l'Iran au gouvernement yéménite plus ou moins légitime protégé par l'Arabie Saoudite. Une guerre menée principalement par des proxy, autrement dit des milices financées et armées par les deux puissances régionales. Depuis un an, les combats ont baissé d'intensité et depuis plusieurs semaines, un vent nouveau souffle sur le Yémen, depuis que la Chine a poussé iraniens et saoudiens à se parler et rétablir des liens diplomatiques.

Vers un retrait de l'Arabie Saoudite du "bourbier yéménite" ?

Hier en Suisse, le gouvernement yéménite et les houthis ont conclu un accord pour un échange de 880 prisonniers prévu dans trois semaines. Ce type d'échange a déjà été fait par le passé, mais c'est une étape importante qui montre aussi que le gouvernement légitime est intégré dans les négociations. Jusqu'à présent, il y avait des relations bilatérales qui avaient été menées par l'Arabie Saoudite et les houthis, en laissant le gouvernement légitime de côté. C'est un signe encourageant. Les modalités exactes de cet échange ne sont toutefois pas encore vraiment connues.

Publicité

Depuis plusieurs mois, il y a une volonté des Saoudiens de s'extraire du bourbier yéménite. Il y a eu un certain nombre d'avancées qui ont commencé dès avril dernier avec un cessez-le-feu, une trêve renouvelée épisodiquement avant d'être abandonnée sans que cela ne change véritablement la réalité des affrontements. Il y a eu aussi des transformations à la tête de l'État avec la nomination du Conseil présidentiel, qui a abouti à l'arrivée au pouvoir d'un nouveau président, Rachad al-Alimi après la mise sur la touche du président Hadi. Depuis quelques mois, on est entrés dans une phase assez encourageante. Mais le retrait souhaité des Saoudiens, s'il est unilatéral, ne signifie pas qu'il y aura réellement une pacification. Il y a des lignes de fracture qui se maintiennent, qui s'amplifient. Des tensions existent également au sein des groupes anti-houthis, notamment autour de la rivalité qui s'exprime entre l'Arabie Saoudite d'un côté et les Émirats arabes unis de l'autre.

Indéniablement, les houthis sont en position de force et c'est la raison pour laquelle les Saoudiens cherchent à se retirer du conflit. Les houthis sont en position de force sur le plan militaire, parce que depuis le déclenchement de la guerre, ils ont certes perdu un certain nombre de positions, où le soutien populaire n'existait pas, mais ils ont assuré dans les régions zaydites une base qui est extrêmement bien tenue aujourd'hui. Ils ont aussi pu projeter de la violence en utilisant des drones, voir des missiles, en direction de l'Arabie Saoudite et des Émirats arabes unis. C'est ainsi qu'ils se trouvent en position de force.

Si l'ambition des Saoudiens est de se retirer totalement du Yémen, cela posera des problèmes dans la mesure où l'ensemble des infrastructures a été détruit, essentiellement par les bombardements saoudiens. C'est une société qui est exsangue et il y a une forme de responsabilité des Saoudiens, bien qu'il semblerait qu'ils n'aient pas la volonté de s'engager dans une coûteuse reconstruction, ni même qu'il en ait les capacités techniques et de savoir faire. Il y a besoin d'un horizon de développement économique pour pacifier le Yémen. Non seulement le pacifier en interne, mais aussi les relations entre les Yéménites et saoudiens.

Les Enjeux internationaux
15 min

Les dimensions internes du conflit...

Les considérations internes du conflit sont liées à de vieilles rivalités entre les élites yéménites. Il y a depuis longtemps, une confrontation qui s'est exprimée dans ce qu'on avait appelé le printemps yéménite en 2011/2012 entre des groupes politiques plus ou moins idéologisés, des grandes tribus et grandes familles. Mais cette situation se double également d'une dimension liée à la trajectoire historique du Yémen autour du nord et du sud. Jusqu'en 1990, on avait deux Yémen qui se sont unifiés, mais de façon forcée du point de vue des sudistes. Ces derniers souhaitent aujourd'hui obtenir une sécession. Ils sont très largement et explicitement soutenus par les Émirats arabes unis et leur participation à l'effort de guerre contre les houthis n'est pas toujours évidente et le seul objectif réalisable semble d'obtenir une sécession. Du point de vue des ressources, cela poserait un problème parce que les champs gaziers et pétroliers se trouvent à cheval entre le Yémen du Nord et le Yémen du Sud. Et il y aurait besoin d'infrastructures qui traverseraient les territoires, mais cela implique aussi et surtout que le nord et sud s'entendent.

Musique d'introduction : Clément Froissart - Rendez-vous

L'équipe