La revue des revues. Qu’est-ce, au fond, que le racisme ? Que désigne ce concept à la fois banal et insaisissable qui rythme aujourd’hui tant de controverses ? C’est la question posée par la revue Mouvements, qui explore, dans un hors-série passionnant, les multiples facettes d’un phénomène qui s’est profondément transformé au fil des décennies. Les auteurs, qu’ils soient sociologues, politistes ou philosophes, démontrent en effet que depuis l’apparition du terme, il y a un siècle, le racisme a muté « dans ses définitions comme dans ses formes », soulignent Juliette Galonnier, Daniel Sabbagh et Patrick Simon.
Dans les années 1920, le mot renvoyait à une « doctrine raciale », constatent les trois chercheurs. « Le racisme était alors l’attribut d’un discours explicite ou d’une pensée structurée : il qualifiait une théorie ou une idéologie. Toutefois, dès les années 1930, est attesté un deuxième usage : le racisme désigne alors une attitude d’hostilité à l’égard d’individus ou de groupes déterminée par la “race″ qui leur est attribuée. Il qualifie également un ensemble d’affects éventuellement associés à des jugements dépréciateurs ou bien encore un système ou un ordre social qui détermine les positions et chances de vie des personnes. »
Depuis la condamnation morale de la hiérarchie raciale, à la Libération, le racisme a adopté des formes de plus en plus subtiles. Aux discours et aux comportements explicites de haine des années 1930, a succédé, dans la seconde moitié du XXe siècle, un racisme « ordinaire » fait de discriminations à l’embauche, de filtrage ethno-raciaux dans les boîtes de nuit ou de contrôles d’identité au faciès. C’est pour qualifier ces attitudes à la fois discrètes et routinières que les milieux de la recherche et du militantisme ont inventé une notion controversée – le « racisme structurel », « institutionnel » ou « systémique ».
Dénonciation des discriminations
Si ces concepts se heurtent, selon le politiste Daniel Sabbagh, à deux écueils – la déresponsabilisation et la culpabilisation des individus –, ils ont le mérite, soulignent les chercheurs Solène Brun et Patrick Simon, de se focaliser non sur l’intentionnalité des auteurs mais sur les conséquences symboliques et matérielles de leurs actes. La revue s’intéresse également à la notion de « racisme anti-Blancs », dont le chercheur Ary Gordien retrace la généalogie en se penchant sur l’histoire postesclavagiste de la Guadeloupe.
Pour mieux saisir les nouvelles formes de racisme, la revue Mouvements s’intéresse également à la manière dont les victimes les perçoivent. Contrairement à ce que l’on croit souvent, l’identification et la dénonciation des discriminations n’ont rien d’aisé : la sociologue Mireille Eberhard souligne l’« illégitimité » d’un long processus de « politisation » qui, selon les chercheurs Hélène Balazard, Julien Talpin, Guillaume Roux, Marion Carrel, Sümbül Kaya et Anaïk Purenne, exige un « travail réflexif, une enquête, des ressources collectives et du temps ».
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