L’année 2023 marque le centenaire de la République moderne de Turquie, voulue et modelée par Mustafa Kemal Atatürk. Le pouvoir, qui se prépare à fêter l’anniversaire en grande pompe, n’hésite pas d’ores et déjà à en minorer l’héritage pour créditer le parti aux affaires, l’AKP, des grandes réussites du pays. Parallèlement, 2023 est aussi l’année d’une élection présidentielle cruciale pour le président Erdogan, à la tête du pays depuis vingt ans, mais aussi pour la Turquie et pour l’Europe, compte tenu des liens d’interdépendance turco-européens.
Si la campagne électorale n’a pas commencé, on est en droit de se demander si elle a jamais cessé. Le président Erdogan envahit tous les médias, monopolise le temps de parole, inaugure un jour un pont, un autre une autoroute, s’affiche devant un fleuron de l’industrie turque des drones, et s’enorgueillit de ces succès pour le bien-être de son peuple et la grandeur de la nation turque. Toutefois, cette image si lisse cache un contexte si peu favorable que le scrutin prévu en juin pourrait bien être anticipé. Erdogan lui-même l’a laissé entendre début janvier.
L’économie est à la peine : avec un taux d’inflation officiel – et probablement sous-estimé – à 85 %, le pouvoir d’achat de la population ne cesse de baisser. Erdogan, qui pavoisait sur les performances économiques de ses gouvernements successifs qui lui ont permis de gagner tous les scrutins depuis 2002, voit sa machine électorale grippée. Mais l’économie n’explique pas tout.
Alors que la première moitié de son règne s’inscrivait dans un libéralisme politique et économique ouvert et un soft power triomphant à l’étranger, le régime s’est crispé, depuis 2013, dans une dérive autoritaire qui le rend particulièrement impopulaire dans le pays comme à l’étranger, notamment en Occident. Sa politique étrangère, longtemps dynamique et auréolée de succès – on parlait d’un « modèle turc » de démocratisation et de développement pour le monde musulman –, est pour le moins dans l’impasse. Le pays s’est isolé, et les tentatives de normalisation des relations avec l’Arménie, l’Egypte, Israël, et bientôt la Syrie rencontrent des difficultés persistantes, à l’exception peut-être de l’Ukraine, où la médiation turque semble salutaire.
L’opposition a besoin de l’Europe
Autre défi majeur, l’opposition, longtemps divisée et désorganisée, semble enfin être dans un meilleur ordre de bataille. En effet, les six partis qui constituent le front commun face à Erdogan ne présenteront qu’un seul candidat, non désigné à cette heure. Ce front stratégique inquiète le pouvoir, si bien que le 15 décembre 2022, Ekrem Imamoglu, maire d’Istanbul et probable adversaire d’Erdogan, a été inculpé pour insulte aux institutions. Si sa condamnation se confirme, il risque une peine de deux ans de prison, qui lui interdira toute activité politique pendant cinq ans et laissera le champ libre à Erdogan.
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