ENTRETIEN. Guerre en Ukraine : attaques de drones, civils ciblés, Kiev bombardée... quelle est la nouvelle stratégie de Vladimir Poutine ?
La Russie a entamé une grande vague de bombardements à l'aide de missiles et de drones dans les jours suivant la destruction partielle du pont de Crimée. Si les bombardements contre les civils sont récurrents au cours de ce conflit, la multiplication de ces phénomènes interroge sur la stratégie actuelle de Vladimir Poutine et de son état-major.
Après l'attaque au drone contre Kiev le lundi 17 octobre puis la destruction d'infrastructures électriques de la capitale le mardi 18, la stratégie russe de bombardements massifs soulève de plus en plus de questions sur son rôle et son impact.
Les objectifs de Moscou demeurent flous depuis les échecs répétés de ses armées empêchant une mise sous tutelle de l'Ukraine, alors que le pays multiplie des frappes contre des infrastructures vitales ukrainiennes. Volodymyr Zelensky a notamment annoncé, ce mardi 18 octobre, la destruction de 30% des centrales électriques ukrainiennes en une semaine suite aux bombardements russes.
Anne de Tinguy, professeure à l'Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) et chercheuse rattachée au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, autrice de Le Géant empêtré : La Russie et le monde de la fin de l'URSS à l'invasion de l'Ukraine, a accepté de répondre aux questions de La Dépêche du Midi sur les buts actuels de Moscou.
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Les frappes récentes russes sur les zones civiles répondent-elles à une nouvelle stratégie de la part de Moscou ?
La politique russe depuis quelques jours semble bien correspondre à un changement de stratégie. L'objectif final reste le même, mettre l'Ukraine à genoux et obtenir l’arrêt du soutien que lui apportent les Etats occidentaux, mais la méthode n’est plus la même. Pour comprendre ce changement, il faut prendre en compte les multiples revers subis ces derniers mois par les forces russes, qui vont des échecs de la guerre éclair dans la région de Kiev au début du conflit aux reculs opérés dans celle de Kharkiv puis de Lyman en passant par les positions délicates dans lesquelles ils sont à Kherson. La Russie est de plus confrontée à une grave insuffisance en hommes et la mobilisation décidée pour y remédier s’opère difficilement et elle prend du temps, d'où le besoin d'une pause sur le terrain.
Quelles sont les conséquences recherchées par ces frappes ?
La Russie cherche à passer l'hiver en se donnant le temps de former les mobilisés et de reconstituer ses forces avec une stratégie à deux volets : premièrement, terroriser les civils, ce qu'elle a déjà fait par exemple à Boutcha. Le 10 octobre après l'explosion du pont de Kertch, la Russie a bombardé non seulement Kiev, mais des cibles sur l'ensemble du territoire ukrainien : l'objectif est de montrer aux Ukrainiens qu'ils ne sont nulle part à l’abri. Le deuxième volet est économique. La Russie a maintes fois utilisé l’arme du gaz pour exercer des pressions sur l'Ukraine, par exemple en 2005-2006 et 2009. Depuis le début de la guerre qui est, à ses yeux,
hybride, elle cherche par ce moyen à l’affaiblir et à l’ébranler : au blocage des ports ukrainiens et à l’occupation de terres agricoles, s’ajoutent désormais le bombardement d’infrastructures, notamment énergétiques, la prise de contrôle de la centrale de Zaporijjia qui représentait 20% de la production électrique du pays... Pour faire plier les Ukrainiens, les Russes veulent pourrir leurs conditions de vie pendant l’hiver. Ils espèrent ainsi les déstabiliser, arrêter leurs avancées militaires et les pousser à la reddition. Pour l'Ukraine, qui était déjà avant la guerre un des pays les plus pauvres d'Europe, ces pressions économiques risquent d’être très dures.
La Russie étend la guerre hybride à l'Europe. Elle utilise le gaz et le pétrole comme des armes pour peser sur les opinions publiques, diviser et affaiblir les pays de l’UE. Elle fait aussi planer d’autres menaces. Sans qu'on n'ait de preuve de son implication dans le sabotage de NordStream 1 et 2, il pourrait s'agir d'un avertissement à l'Union Européenne.
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Les frappes russes ont-elles l'effet espéré par Poutine sur les Ukrainiens ?
La résistance ukrainienne ne fléchit pas, je ne vois aucun signe d'une baisse de la résilience de la population ukrainienne. Une collègue qui réside à Kiev m'indiquait ce soir que les Kiéviens sont irrités par les récents bombardements, ceux du 10 octobre et de ce matin, mais qu’ils n’ont plus peur : "nous restons à Kiev et continuons à travailler". Ceci étant, dans un pays déjà ravagé par la guerre, où la chute du PIB est estimée en 2022 entre 35 % et 50 %, les conséquences sociales des pressions russes peuvent être très sérieuses.
La Russie peut-elle continuer cette stratégie, au vu de l'état de son armement et ses réserves ?
La Russie a des moyens plus limités qu’au début du conflit. Elle a, semble-t-il, déjà utilisé une bonne partie de ses missiles de précision. Mais il lui reste des stocks, apparemment importants, de matériels moins performants qui datent pour certains de l’époque soviétique. Elle a aussi les moyens de se livrer à des opérations de sabotage. En injectant sur le front les 220 000 soldats déjà mobilisés une fois qu’ils auront été formés, la Russie espère pouvoir reprendre l’initiative et inverser à son profit le rapport de forces sur le champ de bataille. Mais cette guerre a montré que la Russie n’a pas les moyens militaires de ses ambitions. Et il est peu probable qu’elle parvienne à redresser l’état de ses forces armées au cours du seul hiver.
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