Rien ne sera plus jamais pareil en Iran depuis l’arrestation, le 13 septembre, de Mahsa Amini par la police des mœurs à Téhéran, pour n’avoir pas porté assez strictement son voile, imposé par la République islamique à toutes les femmes du pays. Rouée de coups au commissariat, elle est transportée dans un coma profond jusqu’à l’hôpital où elle meurt trois jours plus tard. Le martyre de cette femme de 22 ans, au lieu de rester un sinistre fait divers, soulève une vague de protestation qui s’étend bientôt à l’ensemble du pays. Le slogan « Femme, vie, liberté » retentit dans des manifestations sans précédent, que la répression gouvernementale, malgré sa sanglante brutalité, ne parvient pas à étouffer. A l’étranger, c’est ce même slogan, décliné dans toutes les langues locales, qui est scandé dans les rassemblements de solidarité. Ce cri de ralliement a pourtant déjà une longue histoire, indissociable d’un certain militantisme kurde.
Un triptyque féministe
C’est sans doute en avril 2013, à Ankara, que résonne pour la première fois le slogan « Femme, vie, liberté », lors du congrès de la branche féminine du BDP (Parti de la paix et de la démocratie), une formation majoritairement kurde et historiquement liée au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Le fondateur du PKK, Abdullah Öcalan, emprisonné en Turquie depuis 1999, vient alors d’appeler à une suspension des hostilités entre les guérilleros séparatistes et le gouvernement Erdogan. Le cessez-le-feu ainsi conclu s’accompagne du transfert vers la Syrie des combattants kurdes, les fameux peshmergas, qui quittent le Bakur, le « Nord » turc de leur Kurdistan rêvé, pour s’installer au Rojava, l’ouest de ce Kurdistan à venir (dans le même esprit, le Kurdistan iranien est appelé par les militants indépendantistes « Rohjelat », soit l’Est, et le Kurdistan irakien « Bashur », soit le Sud). Ce processus de paix permet au BDP de développer ses activités en Turquie et de mettre en avant son programme féministe, avec notamment des quotas de représentation à vocation paritaire.
Öcalan, dont les écrits sont étudiés avec méthode dans toute la mouvance du PKK, considère, en effet, que « la libération des femmes est la libération du Kurdistan ». Le démantèlement du système patriarcal est à ses yeux indissociable de l’émancipation à la fois sociale et nationale du peuple kurde. En juillet 2014, le BDP se dissout au sein du HDP (Parti démocratique des peuples), qui réalise un score sans précédent de 13 % des suffrages aux législatives de juin 2015.
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