En 1984, j’ai présenté, devant la Commission des droits de l’homme de l’ONU, à Genève, le premier rapport sur la question des « disparus » au Liban. La Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), dont j’étais délégué, alertait alors sur la diffusion au Moyen-Orient de cette technique de terreur, jusque-là associée plutôt aux dictatures latino-américaines. Les proches des « disparus » à Beyrouth s’étaient d’ailleurs organisés sur le modèle des Mères de la place de Mai, en Argentine. Quatre décennies plus tard, les « disparitions » forcées et arbitraires se sont banalisées dans la région, notamment dans l’Egypte du président Sissi. Mais c’est la Syrie où cette tragédie a pris la dimension la plus massive, avant tout du fait de la répression féroce que le régime Assad a infligée à une contestation initialement pacifiste.
Au moins 111 907 « disparus »
Le Réseau syrien pour les droits de l’homme, connu sous son acronyme anglais SNHR, publie chaque année un rapport sur les « disparus » en Syrie, le 30 août, à l’occasion de la Journée internationale des victimes de disparitions forcées. La méthodologie solide et l’engagement non partisan de cette ONG font d’un tel document une référence sur le sujet. Le tout dernier rapport conclut que, pour une population estimée en 2011 à une vingtaine de millions d’habitants, la Syrie compte aujourd’hui pas moins de 111 907 « disparus », dont 6 642 femmes et 3 684 enfants.
De tels chiffres aggravent le bilan déjà accablant d’un conflit qui a causé la mort d’environ un demi-million de personnes, la moitié de la population du pays étant contrainte de quitter ses foyers, soit pour se réfugier à l’étranger, soit pour se déplacer ailleurs sur le territoire syrien. Comme pour le bilan global du conflit, c’est le régime Assad qui porte une responsabilité écrasante dans le nombre des victimes.
Le SHNR estime en effet à 95 696 le nombre de « disparitions » dont la dictature syrienne s’est rendue coupable, soit 85,5 % du total des victimes. Vient ensuite Daech, l’acronyme arabe de « l’Etat islamique en Irak et en Syrie », avec 8 684 « disparus », soit 7,8 % du total. Puis l’opposition armée, largement regroupée aujourd’hui dans l’Armée nationale syrienne (ANS), avec 2 827 (2,5 %), les Forces démocratiques syriennes (FDS), majoritairement kurdes, avec 2629 (2,3 %). Enfin, Hayat Tahrir Al-Cham (HTC), issu de la branche syrienne d’Al-Qaïda, avec 2071 « disparus » (1,9 %). Dans cette macabre comptabilité, il est essentiel de retenir que, contrairement à l’image entretenue par la propagande djihadiste, le régime Assad a infligé dix fois plus de souffrances que Daech, une proportion qui, au-delà des « disparitions », se retrouve pour les autres crimes de guerre en Syrie.
Il vous reste 45.58% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.