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Confinement à Shanghai: le jusqu'au-boutisme de la Chine cache-t-il une réalité politique ?

«Les protestations de Shanghai, le mécontentement qui se fait jour à Pékin peuvent naturellement être des prétextes à la remise en cause de son infaillibilité.»
«Les protestations de Shanghai, le mécontentement qui se fait jour à Pékin peuvent naturellement être des prétextes à la remise en cause de son infaillibilité.» Hector RETAMAL / AFP

ENTRETIEN - Alors que Shanghai est confinée depuis le 30 mars et que la Chine persiste dans sa stratégie «zéro covid», le sinologue Jean-Philippe Béja analyse les conséquences de la politique jusqu'au-boutiste de Pékin.

Directeur de recherche au CNRS, Jean-Philippe Béja est chercheur au CERI et spécialiste de la Chine.


LE FIGARO. - Depuis le 30 mars, la ville de Shanghai est soumise à un confinement strict. La ville donne-t-elle des gages de fidélité à la ligne «zéro Covid» de Pékin ? Si oui, pourquoi ?

Jean-Philippe BÉJA. - Je dirais plutôt que c'est le contraire. La décision de confiner Shanghai est bizarre, d'abord parce que le nombre de cas était négligeable, mais surtout parce qu'elle a été subite: le centre avait d'abord décidé de confiner le quartier de Pudong, puis quelques jours plus tard le quartier de Puxi, et tout d'un coup, le confinement de la ville a été total. On a eu l'impression d'une décision prise dans l'urgence (alors qu'il n'y en avait pas) et les autorités étaient mal préparées, notamment en termes d'approvisionnement.

Les protestations relativement nombreuses semblent indiquer que le parti local a voulu manifester son mécontentement à l'égard de la politique de «zéro Covid» de Pékin. Si elles l'avaient vraiment voulu, elles auraient pu empêcher les protestations de se développer: les comités de quartier sont omniprésents et peuvent intervenir à tout moment dans les immeubles d'habitation.

Pour Xi Jinping, cette politique montre la supériorité du système socialiste, et de sa pensée. Il n'est donc pas question de l'abandonner.

Jean-Philippe Béja

Mais rappelons-nous que les dirigeants de Shanghai étaient très liés à l'ancien secrétaire général du Parti Jiang Zemin dont les partisans ont été la cible des purges lancées par Xi Jinping depuis 2012. Si on a un mauvais esprit, on peut se dire que ces protestations sont encouragées en sous-main pour montrer le mécontentement de la population vis-à-vis de Pékin.

Quel regard portez-vous sur la stratégie chinoise ? Le jusqu'au-boutisme des autorités chinoises cache-t-il une réalité politique ?

La politique de confinement strict a permis à la Chine de limiter considérablement l'ampleur de l'épidémie au moment où les pays occidentaux étaient submergés par la vague et où les systèmes de santé ont montré leur faiblesse. Pour Xi Jinping, cette politique montre la supériorité du système socialiste, et de sa pensée. Il n'est donc pas question de l'abandonner, même si les circonstances ont complètement changé et que le variant omicron est beaucoup moins létal que le premier coronavirus. Ce n'est plus une question de santé publique, mais une question de justesse de la ligne politique. N'oublions pas que Xi Jinping est obnubilé par le 20e congrès du Parti communiste qui devrait lui donner un troisième mandat. Dans ces conditions, il n'est pas question d'abandonner la politique de zéro covid qu'il a décrétée. Il l'a du reste répété récemment. La réalité doit se plier à sa pensée, et non pas l'inverse.

Le président chinois peut-il sortir affaibli de cet épisode ?

Toutes sortes de rumeurs courent sur les réseaux sociaux. Mais on voit qu'il est moins cité en première page du Quotidien du peuple, et le dernier communiqué de la réunion du Bureau politique a beaucoup moins mentionné son nom. Il est évident que des luttes intenses agitent la direction du Parti en préparation du 20e congrès. Les protestations de Shanghai, le mécontentement qui se fait jour à Pékin peuvent naturellement être des prétextes à la remise en cause de son infaillibilité. Ses rivaux (dont on ne connaît pas les noms) essaieront sans doute de rappeler la règle de la limite des deux mandats que Xi essaie de transgresser.


À VOIR AUSSI - La Chine dans l'impasse de la stratégie du zéro Covid

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17 commentaires
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    le

    Confinement à Shanghai: le jusqu'au-boutisme de la Chine cache-t-il une réalité politique ? On a eu l'impression d'une décision prise dans l'urgence (alors qu'il n'y en avait pas) --> étrange que cela ne s'applique pas à la France cette réflexion. Surtout maintenant que nous avons du recul. Je me souviens des policiers séprarer les jeunes à plus de 6 sur les pelouses des Invalides...

  • Mayec

    le

    Théorie du complot!
    Cela arrange bien Poutine , car cette situation bloque le port de Shanghai d'une manière incroyable, avec devant un nombre phénoménal de porte containers et donc de containers. Ce qui provoque de multiples ruptures de la chaine d'approvisionnement de l'occident et s'ajoutent aux effets boomerang des sanctions contre la Russie.
    Nos économies vont déguster et passer le gout à la guerre de bien des gens.

  • akim612

    le

    Les chinois parqués pour raison de confinement dans des énormes hangars sans hygiène ! N’y aurait il pas là un sur risque de développement de virus divers et multiples ?
    Ça fait peur ….

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