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Présidentielle : comment l'idée d'une « Europe militaire » a été débattue dans la campagne française

Christian Lequesne, professeur de sciences politiques à Sciences Po, explique pourquoi et comment l'idée d'une Europe militaire est devenue un enjeu de la campagne présidentielle. 

Christian Lequesne
Photo d'illustration.
Photo d'illustration. © Reuters

En relisant la Lettre à tous les Français rédigée par François Mitterrand en avril 1988, on se remémore assez vite que le thème européen n’est pas nouveau dans les campagnes présidentielles françaises. Celles qui ont abouti aux victoires de Jacques Chirac (deux fois), Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron ont également vu la construction européenne apparaître comme un thème de premier plan. Ce qui change avec la campagne de 2022 est que la construction européenne n’est plus abordée sous le seul angle de la mise en commun des politiques économiques nationales, mais aussi sous celui de la place de l’Europe dans le monde. Dans la campagne de 2022, on assiste clairement à un glissement de la thématique européenne vers l’international, c’est-à-dire à un débat où l’on s’interroge sur la position que la France doit adopter pour que l’UE devienne un véritable acteur de politique étrangère et de sécurité, et donc une puissance.

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Les candidats cherchent désormais à répondre à cette question des électeurs : l’UE aide-t-elle la France à exister dans le concert mondial des puissances ? Cette préoccupation internationaliste des programmes ne résulte pas seulement de l’intervention militaire en Ukraine le 24 février 2022. Le tropisme de la puissance était présent avant les tragiques événements qui se déroulent aux portes de l’UE, comme on le constate par exemple en consultant le projet présenté par Emmanuel Macron.

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Qu’entend-on par « Europe puissance » ?

Le thème de l’« Europe puissance » a été inventé en France. Il est toujours difficile de retracer la genèse exacte d’un concept utilisé dans le discours politique. Mais on en attribue généralement la paternité à Jean François-Poncet, qui fut ministre des Affaires étrangères de Valéry Giscard d’Estaing de 1978 à 1981. Le thème a été ensuite repris par de nombreux responsables politiques français. Il visait à souligner que l’Europe devait être une puissance militaire, parce que le continent ne pouvait pas dépendre uniquement de la garantie de sécurité des États-Unis.

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Dans cette pensée française, il y a l’héritage du général de Gaulle, dont de nombreux candidats (d’Emmanuel Macron à Éric Zemmour en passant par Jean-Luc Mélenchon) se revendiquent dans la campagne électorale. Lors de son premier mandat, Emmanuel Macron a repris le thème de l’Europe puissance au point d’en faire l’un des slogans de la présidence française du Conseil de l’Union européenne qui a démarré le 1er janvier dernier.

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Derrière ce concept de l’Europe puissance, il y a aussi la conviction que, pour ne pas renoncer à la « grandeur » de la France (autre héritage gaullien), il faut jouer le jeu de l’UE en en exerçant autant que possible le leadership.

Une ligne de clivage

À la lecture des programmes, un clivage apparaît toutefois entre les candidats qui considèrent la puissance européenne comme le moyen de sauver la grandeur de la France (Emmanuel Macron, Yannick Jadot, Anne Hidalgo), ceux qui le refusent totalement au nom de la seule approche nationale (Marine Le Pen, Éric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, Fabien Roussel), et ceux qui se situent entre les deux parce que leur électorat traditionnel est divisé sur cette question (Valérie Pécresse).

Ces différentes prises de position rejoignent une préoccupation majeure des citoyens français sur l’avenir de leur pays : comment la France peut-elle rester influente dans un système international qui a vu émerger, depuis la fin de la guerre froide, de nouvelles puissances comme la Chine, l’Inde ou le Brésil ? Faut-il consolider l’Europe pour rester « grand » en acceptant l’existence d’une nouvelle souveraineté européenne ou faut-il, à l’inverse, assumer plus que jamais la stricte souveraineté nationale ?

Le clivage s’observe d’abord dans les propositions des candidats sur la politique européenne de défense, une fois encore indépendamment de l’intervention russe en Ukraine. Plusieurs candidats veulent renforcer cette politique européenne de défense, afin de mieux assurer la sécurité de la France (Macron, Jadot, Hidalgo, Pécresse), alors que d’autres (Le Pen, Zemmour, Mélenchon) rejettent cette option et prônent en parallèle la sortie de la France du commandement militaire intégré de l’OTAN, c’est-à-dire le retour pur et simple à l’orthodoxie gaullienne.

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Ce n’est pas un hasard non plus si les chapitres des programmes consacrés aux questions européennes abordent tous les relations avec la Chine et avec la Russie. Aux yeux de Macron, Jadot et Hidalgo, l’UE doit permettre à la France de peser davantage dans les négociations (commerciales, climatiques, énergétiques) avec les régimes autoritaires. Pour leur part, Zemmour, Le Pen et Mélenchon évoquent plutôt la nécessité d’une « bonne » relation bilatérale de la France avec la Russie et la Chine, qui permettrait à Paris de ne pas – ou peu – se préoccuper de l’avis des autres États de l’UE sur cette question.

À ce propos, les sondages effectués après le début de l’intervention militaire russe en Ukraine le 24 février ont montré que cette opération armée desservait les candidats d’extrême droite et d’extrême gauche, jugés trop complaisants à l’égard de Moscou. Soulignons toutefois que la victoire massive du parti de Viktor Orban aux élections législatives hongroises, le 3 avril dernier tend à montrer qu’apparaître aligné sur le Kremlin n’est pas nécessairement synonyme de défaite dans les urnes.

Migrations, environnement : quelle dimension européenne ?

Autre question à portée internationale que l’on retrouve dans toutes les parties des programmes portant sur l’Europe : l’immigration. Plusieurs candidats (Macron, Jadot, Mélenchon) appellent à renforcer la coordination aux frontières extérieures de l’UE, afin de parvenir à un traitement « rationalisé » des flux migratoires. Ils prônent donc un renforcement des accords de Schengen. Pour les candidats d’extrême droite et de droite (Zemmour, Le Pen, Pécresse), l’UE est incapable de contrôler des flux migratoires que seul un renforcement des dispositifs nationaux aux frontières de la France pourrait réduire.

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Les candidats qui insistent sur la responsabilité de la France dans les politiques environnementales (Jadot, Hidalgo, Roussel) le font aussi en prônant une approche européenne face au reste du monde. Yannick Jadot y voit par exemple l’élément clé du partenariat renforcé qui devrait se tisser entre l’UE et l’Afrique.

Enfin, le thème de l’élargissement de l’UE est abordé en lien avec la puissance européenne, même si c’est indirectement.

L’élargissement, source de préoccupation

Notons d’abord qu’un élargissement rapide de l’UE aux Balkans occidentaux et à la Turquie ne fait recette chez aucun candidat. La situation est un peu différente à l’égard d’une candidature accélérée de l’Ukraine puisqu’une candidate (Hidalgo) déclare la soutenir sans pour autant faire de même pour la Géorgie et la Moldavie.

L’absence générale d’enthousiasme à l’égard de l’élargissement s’explique chez certains (comme Le Pen ou Pécresse) par une vision selon laquelle cette option serait porteuse de nombreux maux, comme les flux migratoires, le crime organisé ou la concurrence déloyale. Mais pour d’autres (comme Macron), l’élargissement n’est pas souhaitable car il compromettrait un approfondissement de la gouvernance européenne, nécessaire à l’émergence de l’Europe puissance.

La « grandeur » de la France en question

Le temps où la construction européenne consistait pour les candidats à l’élection présidentielle à se demander s’il fallait coopérer pour créer un marché intérieur ou une monnaie unique est bel et bien derrière nous.

Désormais, la place de l’UE dans le monde remplit les programmes, parce que ce thème préoccupe les Français. Derrière cette attente, il y a la perception que la place de la France dans les relations internationales a diminué depuis la fin de la guerre froide. Il y surtout l’héritage français de la « grandeur », dont les Français se demandent si la puissance européenne est ou n’est pas la condition de son sauvetage.

Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.

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