Faut-il s'engager à faire adhérer l'Ukraine à l'Union européenne ?

Rassemblement de solidarité avec le peuple ukrainien devant l'ambassade de Russie à Paris, le 22 février 2022. ©Maxppp - Vincent Isoré
Rassemblement de solidarité avec le peuple ukrainien devant l'ambassade de Russie à Paris, le 22 février 2022. ©Maxppp - Vincent Isoré
Rassemblement de solidarité avec le peuple ukrainien devant l'ambassade de Russie à Paris, le 22 février 2022. ©Maxppp - Vincent Isoré
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La guerre déclenchée par Vladimir Poutine remet au goût du jour l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne comme possible solution pour sortir de la crise. L’idée d’Europe continue de séduire et force l’Union à repenser ses frontières orientales.

Avec
  • Mario Telo
  • Marie Mendras Politologue, chercheur au CNRS et au CERI
  • Thorniké Gordadzé Politiste spécialiste du Caucase, enseignant à Sciences Po, ancien ministre géorgien en charge des relations avec l’Union européenne, ex Senior fellow à l’International Institute of Strategic studies

C’était une des surprises de la fin de la semaine dernière : une tribune dans Le Monde signée par une centaine de personnalités, demandant à ce que l’Union européenne reconnaisse officiellement l’Ukraine comme État candidat à l’adhésion. Certes, la demande est ancienne, puisque l’Union a reconnu les "aspirations européennes de l’Ukraine" en 2015 et que le trio associé de la Géorgie, l’Ukraine et la Moldavie ont relancé leur demande il y a un an à Kiev. Cependant, ces promesses étaient vagues et les pays européens de l’Union renvoyaient leurs interlocuteurs à des discussions ultérieures. Mais là, l’attaque de la Russie semble avoir accéléré le processus. Est-ce là la solution pour défendre l’Ukraine ? Vladimir Poutine, malgré lui, a-t-il relancé l’intégration ? 

Pour ce débat, Emmanuel Laurentin reçoit Thorniké Gordadzé, chargé de recherche senior à l'Institut international d'études stratégiques (IISS), ancien ministre géorgien en charge de l'intégration européenne et euro-atlantique (2010-2012), Marie Mendras, politiste au CNRS et au CERI, professeure à l’Ecole des relations internationales de Sciences Po, membre du comité Russie Europe de la revue Esprit et Mario Telò, professeur de sciences politiques, relations internationales et études de l'Union européenne à l'Université libre de Bruxelles (ULB), ancien président de l'Institut d'Études Européennes, membre de l'Académie Royale des Sciences de Bruxelles et conseiller spécial de Josep Borrell. 

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Thorniké Gordadzé souligne la frilosité de l'Union européenne, et la nécessité de prise en compte des avantages d'une potentielle adhésion de l'Ukraine :  "Il y a eu beaucoup de frilosité de la part des européens. Il y a eu au moins huit ans après l’annexion de la Crimée pour que l’Europe fasse quelque chose pour protéger certains pays, pour garantir une meilleure protection. L’Union européenne aurait dû commencer les négociations d’adhésion, mettre la barre plus haut. (...) Toutes les tentatives d’aider la Russie n’ont servi à rien, et au contraire ont donné l’impression à Vladimir Poutine qu’en face il n’y avait personne, que l’UE était tellement frileuse et recroquevillée, sans initiative, qu’il pouvait aller plus loin. Il arrive exactement ce qu’on a voulu éviter. (...) C’est aux hommes politiques de comprendre que l’Ukraine ne va pas apporter que des problèmes, c’est un grand pays, avec beaucoup de ressources et une population très bien formée."

Marie Mendras insiste sur la nécessité d'agir rapidement face à la menace russe, et reproche à l'Union européenne son manque d'initiative dans une situation exceptionnelle et urgente :  "La lecture par les textes et procédures est dépassée. Nous sommes dans une exceptionalité que nous n’avons jamais vécue avec une attaque barbare de l’armée russe. Vladimir Poutine a renversé la table, on ne va pas pinailler sur comment remettre en place les verres, les assiettes et les couverts. Je comprends le point de vue légaliste, institutionnaliste, mais j’espère que Madame Van Der Leyen ne sera pas prudente, qu’elle a compris que rien ne serait plus comme avant. Il y a une vraie situation d’insécurité dans laquelle nous avons laissé les cent millions d’habitants qui habitent dans les pays de l’entre-deux, pris en étau entre la Russie poutinienne et l’Europe. Nous avons beaucoup trop attendu avant de prendre en compte ce besoin essentiel, vital, qu’ont ces Etats et ces peuples d’appartenir à un autre espace qu’à une zone grise. (...) Les grandes décisions politiques, l’Europe les fait en collectif. Personne ne voudra exercer un droit de veto sur une question aussi essentielle que celle de la survie de l’Ukraine. (...) Personne n’a dit qu’il fallait que l’Ukraine adhère demain : il faut ouvrir un processus d’adhésion qui va prendre quelque temps mais va peser très lourd en Ukraine pour que le Président, le Gouvernement, les députés réussissent à soutenir l’effort de résistance de l’armée et de la population."

Mario Telò, quant à lui, explique le rôle primordial des institutions européennes, et met en lumière la complexité et la durée du processus d'adhésion d'un pays à l'UE, nécessaires pour un bon fonctionnement de l'Union  :  "Le processus d’adhésion de l'Espagne et du Portugal a pris dix ans de négociation, et presque vingt ans dans certains cas comme la Bulgarie et la Roumanie. Ici, on parle d’une accélération. Mais l’article 49 - du traité sur l'UE - prévoit un avis consultatif de la Commission. Il faut aussi un vote du Conseil à l’unanimité, avec les vingt-sept pays. Un seul vote contraire peut bloquer le processus. Ensuite, il faut un vote à la majorité du Parlement européen, et enfin une ratification de la part des Parlements ou par référendum dans chacun des États-membres. Cette procédure est complexe et protectrice par rapport aux États-membres. Je cite les traités car les institutions c’est quelque chose de sérieux. Le résultat des négociations, entre vingt-sept États, il faut en tenir compte. La question posée n’est pas légale, elle est politique. (...) L’Europe doit être capable de faire face à un monde dangereux. Il ne faut pas jouer le jeu de ceux qui sont les ennemis de la force de nos valeurs européennes et de nos politiques. (...) Il faut faire des promesses réalistes."

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