La Shoah française, de l’Histoire à la présidentielle
Auteur d’une thèse sur la résistance civile en Europe, Jacques Semelin remet les pendules à l’heure sur la Shoah en France.
- Publié le 20-01-2022 à 17h26
- Mis à jour le 20-01-2022 à 17h27
Peu avant la fin 2021, Jean-Marie Matisson, partie civile dans le procès historique de Bordeaux autour de Maurice Papon - et auteur d'une belle synthèse évoquée ici-même -, avait déjà mis en garde contre la lecture révisionniste de la Shoah française par Eric Zemmour, prétendant que le gouvernement du maréchal Pétain aurait largement permis de sauver les Juifs français. Ses critiques viennent d'être largement étayées par Jacques Semelin qui avec notre confrère de La Croix, Laurent Larcher, a poursuivi son travail de mémoire sur les persécutions et les entraides dans la France occupée (1940-1945) où il avait montré en 2013 comment, pendant la Seconde guerre, 75 % des Juifs en France avaient pu échapper à la mort.
Interpellé sur cette question par Simone Veil en 2008, Semelin, spécialiste des génocides et des crimes de masse, s’était investi pendant plusieurs années dans l’étude critique de ce constat, allant à la rencontre des survivants. Une œuvre d’autant plus utile que sans remise en perspective, cela pouvait à l’évidence donner du grain à moudre aux négationnistes. Il a estimé, face à la montée populiste autour des présidentielles françaises et singulièrement face aux prises de position d’Eric Zemmour, qu’il devait revenir sur ses recherches soutenues à l’époque par Sciences Po (Paris). Et d’offrir aux futurs électeurs français (mais aussi aux passionnés de la question hors Hexagone) une approche la plus large possible sur une question toujours très polémique.
Jacques Semelin fait œuvre à la fois pédagogique et très journalistique en évoquant ses riches rencontres intellectuelles et humaines avec divers spécialistes du débat dans de courts mais passionnants chapitres. On y croise Serge Klarsfeld mais aussi Robert Badinter et Christine Albanel, la "plume" de Jacques Chirac du fameux discours du 16 juillet 1995 sur la culpabilité française. Mais il évoque également ses discussions historiques pointues avec Robert Paxton ou Stanley Hoffmann. Une contribution décisive pour éclairer le régime mémoriel français… d’où il ressort aussi que l’Église catholique française n’a pas fait moins bien que son alter ego protestant, malgré les accents très pétainistes de certains de ses plus hauts responsables.
- Jacques Semelin avec Laurent Larcher | Une énigme française. Pourquoi les trois quarts des Juifs en France n'ont pas été déportés | Essai | Albin Michel, 218 pp. Prix 19 €, version numérique 13 €