Terrorisme

La France peut-elle contrer les jihadistes au Sahel ?

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L’opération Barkhane n’est pas venue à bout des mouvements terroristes. Plus d’une dizaine de groupes jihadistes essaiment désormais dans le Sahel et l’Afrique de l’Ouest.

Militaires français au Mali. L’opération Barkhane prendra fin début 2022. PHOTO : Fred Marie - Hans Lucas/AFP

Lancée en 2013, l’opération Serval s’inscrit dans le cadre d’une intervention militaire limitée dans le temps et avec un objectif clair : stopper l’avancée vers Bamako des groupes jihadistes implantés dans le Nord afin d’aider les autorités maliennes à « stabiliser » leur pays. Mais à partir de la fin de l’opération en juillet 2014, la France bascule dans une « guerre » plus vaste, une « lutte » contre les jihadistes affiliés à Al-Qaida ou à l’Etat islamique avec une nouvelle opération, Barkhane (5 100 soldats). Paris craint en effet de voir ces groupes menacer à terme la France à partir du Sahel. En association avec les Etats-Unis, l’Hexagone redéfinit ses actions militaires en Afrique : la lutte contre le terrorisme devient un enjeu majeur de l’action militaire du pays.

Malgré ce basculement, la France considère en 2014-2015 que les groupes jihadistes, détruits ou déstabilisés, ne menacent plus l’existence du Mali en tant qu’Etat, même s’ils gangrènent des territoires. Il s’agit désormais, après avoir détruit leurs infrastructures humaines et matérielles, d’aider les autorités locales à restaurer leur autorité et à mettre en œuvre dans un cadre sécurisé une politique de développement en faveur des régions les plus abandonnées. Sur le plan militaire, l’action de la France s’inscrit dans un cadre régional puisqu’à partir de 2014, elle va former plus de 7 000 soldats des armées du G5, un groupement de pays d’Afrique de l’Ouest créé en 2014, et mener près de 750 actions d’accompagnement au combat.

Une stratégie de harcèlement

De leur côté, les combattants jihadistes, dispersés après l’opération Serval, ont basculé dans une stratégie de harcèlement des troupes françaises et ouest-africaines. Leur objectif est de déstabiliser toute la région afin de rendre vaine, à terme, la présence militaire de la France et de contraindre celle-ci à quitter la région pour négocier directement avec les autorités des pays du Sahel les conditions islamiques d’un retour à la paix. Une islamisation de l’Etat, en réalité.

Les jihadistes exploitent avec habileté le sentiment d’abandon d’une partie des populations

De fait, à partir de 2018, la situation se dégrade au Mali et dans le reste des pays du Sahel. La France perd progressivement le soutien des populations locales alors que les groupes jihadistes étendent leur influence, les autorités n’ayant pas les moyens de reprendre vraiment le contrôle des territoires et souffrant d’un manque de confiance de la part de leurs concitoyens. Dès le 1er mars 2017, l’ennemi numéro un de la France, Iyad Ag Ghali, chef du groupe salafiste Ansar Dine, a solennellement annoncé en compagnie de l’émir d’Aqmi, Yahya Abou ­al-Hammam, et d’Amadou Koufa, chef du Front de la libération du Macina (centre du Mali), la création du Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans (GSIM). Ce nouveau groupe prête allégeance à Ayman al-Zawahiri, l’émir d’Al-Qaida. En 2020, le GSIM est perçu comme « l’ennemi le plus dangereux pour la force Barkhane », selon le général Conruyt, commandant de cette force. « Cet ennemi nous cible au Sahel. Il est rusé, agile, capable à la fois d’une vision et de coups tactiques. Prospérant sur la misère, l’endoctrinement, l’absence d’alternative sociale et économique, de manière plus insidieuse et patiente que l’EIGS », souligne-t-il.

Le chef du GSIM est l’homme à abattre pour les troupes françaises, et cela d’autant plus que l’Etat islamique au Grand Sahara (EIGS) a été militairement affaibli. L’EIGS, fondé en 2015 par Abou Walid al-Sahraoui, un ancien membre du Mujao (Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest) actif au nord du Mali en 2011-2012, devient responsable de nombreuses attaques terroristes à partir de 2019. Très présent dans la région des trois frontières (Mali, Niger et Burkina Faso), il exploite le ressenti des populations locales et en particulier des jeunes, qui trouvent dans l’adhésion à un groupe armé une valorisation de leur statut social alors qu’ils vivent dans des régions souvent abandonnées par l’Etat. Ces combattants basculent dans une entreprise qui dépasse les raisons de leur engagement personnel. Pour l’EIGS en effet, l’objectif est la création d’une « province » islamique rattachée au Califat, qui s’étend du Sahel à l’Afrique de l’Ouest. Rival de l’EIGS, le GSIM a lui aussi des ambitions régionales d’ailleurs. Certaines parties du territoire du Bénin, de la Côte d’Ivoire et du Togo voient s’installer des « cellules dormantes » de l’EIGS. Dans les territoires où ils sont présents, les jihadistes cherchent à contraindre les populations locales à cesser tout lien avec les forces de sécurité sous peine de représailles mortelles, comme l’illustrent les nombreux massacres de villageois.

Animés par un discours anti-occidental, les jihadistes exploitent avec habileté le sentiment d’injustice et d’abandon d’une partie des populations. Ils dénoncent la corruption des élites dirigeantes et reprennent les critiques sur les « Etats prédateurs » et la « Françafrique ». En raison de son passé colonial, de son soutien aux régimes, la France fait figure d’ennemie préférée. En une décennie, plus d’une dizaine de groupes jihadistes essaiment dans le Sahel et l’Afrique de l’Ouest ! Ce qui conforte les rumeurs véhiculées par les théories complotistes selon lesquelles la France aurait en réalité besoin du maintien des groupes jihadistes pour justifier sa présence.

A l’inverse, du côté des gouvernements, des groupes ­ethno-linguistiques, comme les Peuls, sont accusés de complicité et de soutien aux mouvements jihadistes parce que certains de leurs membres ont rejoint les rangs de ces factions. Dans une interview au journal Le Figaro, le président du Niger, Mohamed Bazoum, affirme que si l’engagement de ses compatriotes dans le jihad est faible, « ce sont essentiellement des Peuls qui s’engagent : le jihadisme exalte leur esprit guerrier »1. Les populations peules deviennent ainsi l’objet de représailles arbitraires et meurtrières. Un cycle infernal de violence qui fait craindre à certains observateurs des risques de génocide.

Les forces militaires françaises en retrait

Dans sa guerre contre les groupes jihadistes (quelques milliers de combattants), la France est activement soutenue par les Etats-Unis et par certains pays européens. Mais contrer ces groupes ne peut être qu’une entreprise de très longue haleine car ils opèrent dans une région sahélienne en pleine transformation : urbanisation accélérée (2 % en 1950, 25 % en 2010) et très forte croissance démographique (de 80 à 160 millions d’habitants en 2040). L’ONG Oxfam rappelle qu’au Sahel, 40 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, c’est-à-dire avec moins de 1,90 $ par jour2. Face à de tels défis, la réponse militaire de la France est vaine et son aide au développement inévitablement insuffisante au regard de l’ampleur des problèmes économiques et sociaux. De fait, l’opération Barkhane prendra fin début 2022. Ne resteront de la présence française au sol que quelques centaines d’hommes des forces spéciales au sein de la task force Takuba, constituée en 2020 avec plusieurs pays de l’Union européenne. A défaut d’éliminer les groupes jihadistes, le but dorénavant est de chercher à les affaiblir en éliminant leurs chefs par exemple et en espérant que les successeurs se montrent plus conciliants avec les régimes politiques du Sahel qu’ils considèrent « impies ».

  • 1. Le Figaro, 5 avril 2021.
  • 2. « Sahel : lutter contre les inégalités pour répondre aux défis du développement et de la sécurité ». Oxfam, 2019, p. 11.

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