3651 Europe Italie Draghi
Peter Reynolds

Pour le moment, Mario Draghi tient d'une main de fer sa large coalition.

Peter Reynolds

S'il y a bien un pouvoir magique dont semblent disposer en ce moment les Italiens, c'est celui des résurrections inattendues. Pas seulement celle de la Squadra Azzurra qui a, contre toute attente, ramené la coupe de l'Euro de foot à la maison lors en juillet dernier, après avoir raté la qualification pour le Mondial en 2018. Ni celle des sportifs qui ont explosé le record national de médailles lors des derniers Jeux olympiques, et même chipé celle en or aux Américains sur la distance reine du 100 mètres. La résurrection est aussi économique. Après avoir plongé avec brutalité dans la crise, l'Italie est en train de connaître un redressement fulgurant. La croissance du pays dépasse largement les prévisions faites en début d'année : elle pourrait être supérieure à 6 % cette année, l'une des plus belles progressions de la zone euro. Le moral des entreprises et des ménages est au beau fixe, les exportations rebondissent à toute vitesse, les milliards d'euros pleuvent sur la Botte à travers le plan de relance européen, et sa voix est à nouveau écoutée à Bruxelles.

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"L'homme malade de l'Europe" paraît enfin en voie de rémission. Après avoir été pointée du doigt pendant des années pour sa croissance faiblarde, considérée comme la bombe à retardement qui pouvait faire exploser à tout moment la zone euro, mise de côté dans le concert européen à cause de son instabilité politique, regardée de haut pour sa gestion des premiers cas de Covid et été l'un des pays les plus touchés par l'épidémie, l'Italie connaît un rebond qui n'en est que plus spectaculaire. "Cela fait trente ans que je vis ici, et je n'avais jamais vu les Italiens aussi optimistes et fiers de leur pays", constate Denis Delespaul, le président de la chambre de commerce et d'industrie France-Italie. Un vent de renouveau qui suscite un formidable espoir : et si au-delà du simple rebond d'après crise, l'Italie s'apprêtait enfin à sortir du cercle vicieux qui la plombe depuis des décennies et à revivre un miracolo economico comme dans les années 1950 ?

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Un espoir qui repose en grande partie sur les solides épaules d'un homme : le président du conseil Mario Draghi. Lors de son arrivée au pouvoir en février dernier, la feuille de route de l'ancien patron de la Banque centrale européenne (BCE) était claire. D'abord, sortir le plus vite possible le pays de la crise sanitaire et économique. Ensuite, reprendre en main le Piano nazionale di ripresa e resilienza (plan national de relance et de résilience) que son prédécesseur avait à peine griffonné, et profiter au mieux de la formidable conjonction des astres - la levée des règles budgétaires européennes, le plan de relance de l'Union européenne NextGenerationEU, dont l'Italie est la première bénéficiaire avec 191,5 milliards d'euros de prêts et de subventions sur six ans, et la politique monétaire toujours aussi laxiste de la Banque centrale européenne - pour redresser et réformer le pays à moindre coût. Après avoir sauvé la zone euro en 2012 lorsqu'il était à la tête de la BCE avec son fameux whatever it takes, "Super Mario" a relevé le premier défi, celui de la gestion à court terme, avec efficacité et fermeté, ce qui a permis à l'économie de repartir. Et il semble avoir de sérieux atouts dans sa manche pour réussir le second et changer la donne économique à plus long terme.

134 projets d'investissements et de réformes

Le premier ingrédient de la potion magique Draghi ? Sa connaissance parfaite des dossiers économiques, qui lui a permis de viser juste. "La grande force du plan de relance et de réformes de l'Italie est de se concentrer sur les éléments clefs qui brident la croissance italienne", abonde Catherine MacLeod, l'économiste en charge du suivi de l'Italie à l'OCDE. Fiscalité lourde et complexe, administration publique inefficace et pesante, justice lente, obstacles à la concurrence dans certains secteurs, grande complexité administrative, manque d'investissement et de formation : autant de problèmes connus depuis longtemps, et qui plombent la productivité et la compétitivité du pays. "Cela fait des années que les économistes soulignent ces faiblesses, mais aucun gouvernement n'avait jusqu'ici réussi à s'y attaquer", explique Eric Dor, directeur des études économiques à l'Ieseg School of Management. Dans son programme de 2 500 pages, comprenant 134 projets d'investissement et 63 projets de réforme, le président du Conseil a promis à Bruxelles de se jeter sur tous les fronts pour booster la croissance potentielle du pays.

Un travail herculéen qui doit être accompli dans un temps resserré pour bénéficier du déblocage des enveloppes européennes. Le Palazzo Chigi doit donc avancer au pas de charge : les réformes de l'administration publique, de la justice et la simplification des procédures pour les grands travaux ont déjà été lancées, la vaste refonte fiscale vient d'être présentée, et le gouvernement est en train de plancher sur celle de la concurrence, afin de libéraliser différents secteurs comme l'énergie ou les transports publics. Il faut dire que Super Mario dispose d'une deuxième arme. "En plus d'être compétent, il est sérieux et engagé : il a une ligne et ne dévie pas", souligne Denis Delespaul. Pour atteindre son objectif, le président du Conseil a mis en place une machine de guerre : une supervision directe du plan par la présidence du Conseil, qui s'appuie sur une équipe restreinte de ministres, des objectifs chiffrés et des rapports réguliers devant le Parlement. Et pour éviter les détournements de fonds publics par la mafia, des inspecteurs sont en train d'être recrutés pour contrôler les dépenses des entreprises et des collectivités territoriales.

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Autre joker dans sa manche, sa capacité à rassembler. Grâce à son aura, Mario Draghi réussit pour le moment l'exploit de maintenir une large coalition allant de la droite à l'extrême droite tout en réformant. Une arme qui est aussi très efficace à Bruxelles. "Tout le monde l'écoute, même les pays frugaux : cela permet à l'Italie de retrouver la capacité d'initiative qu'elle avait au début de la construction européenne", estime Marc Lazar, spécialiste de la vie politique italienne. Grâce à cela, la Botte peut aussi se permettre de remettre sans complexe le redressement de ses comptes publics aux calendes grecques, et de peser avec la France dans le débat sur la redéfinition des futures règles budgétaires de la zone euro.

Le risque bancaire n'a pas disparu

Mais, malgré tous ces atouts, la partie est encore loin d'être gagnée pour Mario Draghi. "La transformation de l'économie italienne est un travail massif qui ne peut pas être bouclé en quelques mois ; il faudra des années d'effort pour réussir", pointe Lorenzo Codogno, ancien chef économiste du Trésor italien. Or, pour Super Mario, le temps est compté : sa coalition a déjà commencé à se craqueler sur la question de la refonte des cadastres. Le dossier des retraites, qui s'ouvrira à la fin de l'année, risque aussi de le fragiliser. Et il est pressenti pour remplacer Sergio Mattarella à la présidence de la République début 2022. "Il jouerait encore un rôle, mais serait beaucoup moins utile", prévient Lorenzo Codogno.

De nombreux obstacles se dressent en outre sur sa route. Les lourdeurs de l'appareil bureaucratique italien n'ont pas encore été effacées et pèsent sur la mise en place du plan de réformes et d'investissements - le pays est d'ailleurs déjà en retard sur le calendrier qu'il avait défini. "De plus, la faiblesse de l'économie est aussi liée à des questions de mentalité, en particulier dans le sud de l'Italie : le fonctionnement est encore très clanique, et de nombreuses études ont montré que cela entravait le développement économique, analyse Eric Dor. Or il est très difficile d'agir sur des causes culturelles." Autre point faible qui est encore loin d'être réglé, "le risque bancaire est toujours très présent en Italie, comme le montre le dossier Monte dei Paschi di Siena", observe Patrick Krizan, économiste senior chez Allianz.

Le succès ou l'échec de Mario Draghi ne sera pas seulement déterminant pour l'Italie. "Il le sera aussi au niveau européen, car il conditionnera la possibilité de mettre en place d'autres initiatives comparables au plan de relance européen dans les prochaines années", souligne Nicolas Véron, économiste et cofondateur du think tank Bruegel. Encore une fois, Super Mario a une partie de notre avenir entre ses mains.

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