Le Premier ministre australien Scott Morrison lors d'une conférence de presse à Sydney le 15 octobre 202

Le Premier ministre australien Scott Morrison lors d'une conférence de presse à Sydney le 15 octobre 202

BRENDON THORNE / Getty Images via AFP

Pour Scott Morrison, la meilleure défense, c'est l'attaque. Accusé dimanche dernier, le 30 octobre, par Emmanuel Macron d'avoir menti quant à ses intentions concernant sa commande de sous-marins à la France, le Premier ministre australien a répliqué deux jours plus tard en faisant fuiter dans la presse un SMS du président français censé prouver le contraire. "Dois-je m'attendre à de bonnes ou mauvaises nouvelles pour nos ambitions communes en matière de sous-marins ?", pouvait-on lire dans ce rapide message, dont la divulgation a fait enrager Paris.

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Cette manoeuvre inédite et fort peu diplomatique résume à merveille le caractère de bulldozer de ScoMo, surnom dont il s'est lui-même affublé sur Facebook. Tout au long de sa carrière politique commencée en 2007, le turbulent Morrison s'est distingué par ses prises de position tranchées, n'hésitant pas à ferrailler contre son propre camp en s'opposant à la légalisation du mariage homosexuel en 2016. Mais aussi par un certain opportunisme : lorsque seulement deux ans plus tard, il parvient à se hisser à la tête du pays à la faveur d'une fronde de sa famille conservatrice contre son prédécesseur modéré Malcolm Turnbull.

Leader impulsif

Dès sa prise de fonctions, Scott Morrison annonce la couleur. Climatosceptique assumé, il prend aussitôt la défense de l'industrie du charbon, et balaye les critiques de l'opposition travailliste en déclarant au parlement que les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ne conduiraient qu'à la "destruction de l'économie". Sur la scène internationale, le Premier ministre crée aussi la surprise en annonçant dès 2018 son intention de déplacer l'ambassade d'Australie en Israël de Tel Aviv à Jérusalem, avant de rétropédaler quelques semaines plus tard sous la pression politique. Sa tentative lui attire au moins la sympathie de Donald Trump, qui lui remettra en 2020 la Légion du Mérite pour "son leadership dans la résolution des défis mondiaux et la promotion de la sécurité collective".

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Force est d'admettre que ScoMo a de la ressource. Il le prouve une nouvelle fois en sauvant sa tête contre toute attente lors des élections générales qu'il avait convoquées en 2019. Chrétien évangélique, il qualifie lui-même sa victoire de "miracle" le soir du scrutin. Une dévotion qu'il confirmera d'ailleurs à plusieurs reprises les années suivantes, considérant encore en avril dernier avoir été "appelé pour faire l'oeuvre de Dieu"...

Reste que cette "aide divine" n'est pas toujours suffisante pour lui sauver la mise lorsqu'il dérape. Fin 2019, Scott Morrison s'attire de vives critiques pour son escapade à Hawaï au moment où des méga-feux ravagent l'Australie et que Sydney suffoque sous les fumées toxiques. Rentré en catastrophe, il évoque alors pour sa défense la "promesse [faite] à ses enfants" de passer les vacances avec eux. "Cela ne lui a jamais été pardonné par l'électorat", glisse David Camroux, chercheur franco-australien au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po, pour qui la fuite du SMS était avant tout un moyen "de consolider ses troupes" avant les prochaines législatives de mars 2022.

Méthode contestée

La France, elle, saura-t-elle pardonner à ScoMo ? Rien n'est moins sûr à en croire le professeur. "Cette nouvelle affaire va laisser des traces et il faudra probablement attendre un changement de Premier ministre en Australie pour rétablir la confiance entre les deux pays", estime-t-il. La colère suscitée à Paris par sa foucade n'est en tout cas pas retombée depuis. Dans l'entourage du chef de l'Etat, on se borne à dénoncer une "méthode inacceptable et inefficace", ajoutant que la teneur du message "montre bien que le président n'était pas informé des intentions australiennes". L'ambassadeur de France en Australie y est aussi allé de sa petite pique mercredi, en affirmant devant la presse qu'"agir ainsi envoie un signal très inquiétant à tous les chefs d'Etat : sachez qu'en Australie, il y aura des fuites". En bref, le rétablissement de la confiance entre les deux alliés semble loin d'être acté.

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Du côté de l'Australie, le coup d'éclat du Premier ministre divise, selon David Crowe, le correspondant politique en chef du Sydney Morning Herald et de The Age. "Il y a une grande inquiétude dans les cercles diplomatiques et dans certains médias, mais à l'inverse, des partisans de Scott Morrison estiment qu'il se devait de répondre à l'accusation de mensonge lancée par Emmanuel Macron", dresse le journaliste. Problème pour ScoMo, son adversaire travailliste aux prochaines législatives Anthony Albanese compte bien se servir de cette affaire contre lui. "On ne divulgue pas le message privé envoyé sur votre téléphone par le président d'une autre nation (...) Il faut selon moi privilégier les voies diplomatiques. Ce qui ne s'est pas produit ici, et c'est une vraie source de préoccupation", a-t-il lancé jeudi dans une interview à ABC News.

Pour ne rien arranger, le Premier ministre australien a aussi pris dimanche dernier le risque de se brouiller avec son allié américain en déclarant que l'administration Biden avait été informée de "l'état des conversations et discussions avec le gouvernement français", contrairement à ce qu'avait laissé entendre le président américain lors de son entretien avec Emmanuel Macron au G20. Décidément, à l'international, l'impétueux ScoMo n'a pas fini de faire parler de lui.

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