Poutine : la tension comme ligne diplomatique. Avec Michel Eltchaninoff, Olga Gille-Belova et Jacques Rupnik

Vladimir Poutine lors d'une visioconférence avec Emmanuel Macron, à sa résidence de Novo-Ogaryovo (26 juin 2020) ©AFP - Mikhail Klimentyev
Vladimir Poutine lors d'une visioconférence avec Emmanuel Macron, à sa résidence de Novo-Ogaryovo (26 juin 2020) ©AFP - Mikhail Klimentyev
Vladimir Poutine lors d'une visioconférence avec Emmanuel Macron, à sa résidence de Novo-Ogaryovo (26 juin 2020) ©AFP - Mikhail Klimentyev
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Qui sont les amis de Vladimir Poutine ? Décryptage de la diplomatie russe.

Avec
  • Olga Gille-Belova Maître de Conférences au Département d'Etudes Slaves de l'Université Michel de Montaigne Bordeaux 3.
  • Jacques Rupnik Historien, politologue, directeur de recherche émérite au CERI/Sciences Po
  • Michel Eltchaninoff Rédacteur en chef de Philosophie Magazine, agrégé et docteur en philosophie, il est spécialisé en phénoménologie et en philosophie russe.

Que veut Vladimir Poutine ? 

Après un tir d'un missile antisatellite par la Russie ayant menacé les astronautes présents dans la Station spatiale internationale et le déplacement de troupes à proximité de la frontière ukrainienne, la question est de nouveau sur toutes les lèvres dans les cercles diplomatiques. 

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Certains voient dans les décisions russes une simple volonté de refonder une hégémonie dans l’ancienne sphère d’influence soviétique. D’autres estiment que le dirigeant russe cherche à mettre la pression sur l’Europe pour s’assurer que le projet de gazoduc Nord Stream 2, qui doit relier l’Europe et la Russie, voit le jour au plus vite. Certains enfin, perçoivent dans la politique extérieure agressive du Kremlin une manière pour le président de rehausser sa popularité auprès de l’opinion publique de son pays. Ces explications ne s’excluent pas forcément les unes les autres. 

Le président russe aime se présenter comme un médiateur. Et de fait, il assume parfois ce rôle, entre la Biélorussie et l’Europe, entre l’Arménie et l'Azerbaïdjan. Mais cette position exige l’existence de tensions. 

Enfin, le rôle de l’Union européenne et de l’OTAN restent à comprendre, angle mort des analyses sur ce qui se joue à l’est de l’Europe. 

Pour mieux comprendre le récent enchaînement d’annonces et de nouvelles spectaculaires, trois spécialistes seront avec nous : Michel Eltchaninoff, auteur notamment de Dans la tête de Vladimir Poutine (Actes Sud, 2015) et de Lénine a marché sur la lune (à paraître, janvier 2022), Olga Gille-Bellova, maître de conférences au Département d'études slaves de l'Université Michel de Montaigne Bordeaux 3, et Jacques Rupnik, historien et politologue, spécialiste de l’Europe centrale et orientale, directeur de recherches à Sciences Po Paris. 

Les intentions de Vladimir Poutine 

Que cherche Vladimir Poutine ?

Plusieurs facteurs se conjuguent aujourd'hui. Il a été réélu pour un quatrième mandat en 2018, et les politologues se demandent pourquoi il a du mal à relancer sa politique. La population s'appauvrit, la situation sanitaire est difficile... Les seuls faits majeurs sont qu'il a changé la constitution pour rester jusqu'en 2036 et qu'il a fait enfermer Navalny. On sent un désamour : Poutine a besoin de se relancer. Le moment est peut-être favorable : Merkel fait ses valises, Macron a lancé une tentative de réconciliation avec la Russie... Et quelque chose se passe au Bélarus : Loukachenko n'est pas légitime, des sanctions sont en voie contre lui par l'UE. Il peut servir à Poutine. Il est possible qu'il y ait une fenêtre de tir pour Poutine afin d'utiliser Loukachenko comme bad boy. Le but stratégique politique historique de Poutine est quand même de montrer que l'Europe a failli. Michel Eltchaninoff

Une partie de la stratégie de Poutine, c'est de reprendre pied à la périphérie de l'ex-URSS. Progressivement, il l'a fait par étapes, en prétendant protéger les russophones. Cela s'applique à l'Ukraine, mais aussi au Kazakhstan, peut-être à la Moldavie. Là, il s'agit de la périphérie occidentale. Jacques Rupnik

Impérialisme et idéologie eurasienne

Finalement, on voit que Poutine a des visées impérialistes, sur terre comme dans l'espace. Donc finalement, il y a une forme de cohérence ?

Pour Poutine, la Russie est un pays dont les frontières doivent respirer, c'est un pays qui a toujours vécu une histoire d'expansion, et la découverte de nouveaux territoires a toujours fait partie de son histoire. En 2018, Poutine a promis deux choses pour se faire réélire : une Russie pour le peuple, avec des services sociaux, mais aussi des armes extraordinaires, notamment dans le cosmos. Donc aujourd'hui, il essaie de tenir au moins une partie de ces engagements, en développant une puissance de frappe dans le cosmos. Il y a une coordination tous azimuts avec Loukachenko, aux frontières de l'Ukraine, dans le cosmos, pour montrer que Poutine veut rester maître de son "étranger proche", comme on dit. Michel Eltchaninoff

L'argument est toujours le même : les russophones veulent être rattachés à la Russie.

Sauf que c'est faux ! Niepro, en Ukraine, ancienne ville russophone très industrielle, a demandé à être rattachée à l'Ukraine au moment de conflits récents. Certains russophones font des choix politiques. Odessa aussi fait le choix de rester en Ukraine. Donc les choix linguistiques et les choix politiques d'une démocratie jouent aussi. Vladimir Poutine joue sur des touches différentes pour retrouver des influences et provoquer des tensions. Michel Eltchaninoff

L'idéologie eurasienne, que Poutine s'est réappropriée, remonte au XIXe siècle et au vieux débat entre slavophiles et occidentalistes. L'idée est de dire : "Depuis trente ans, on cherche à rattraper l'Occident, qu'est-ce que cela nous a apporté ? Le mépris et la déconfiture. On nous traite comme des faibles, et nous allons reprendre pied en cherchant notre voie propre, la voie eurasienne". C'est le plan de l'idéologie. On s'appuie sur l'Eglise orthodoxe, le nationalisme... Mais en politique étrangère, il y a aussi un virage de l'Occident vers l'Asie. C'est là que les Européens sont devant un dilemme : est-ce bien dans l'intérêt que les Européens que la Russie se tourne vers la Chine ? On a donc des tentatives pour essayer de garder un dialogue avec la Russie malgré tout ce qui vient d'être dit. Jacques Rupnik

Loukachenko et Poutine face à l'UE

La stratégie de Loukachenko, en lien probable avec une volonté plus large de Vladimir Poutine, est une instrumentalisation de la question des migrants.

Loukachenko n'a jamais été aussi défié lors de son pouvoir que dans la crise politique en 2020. Depuis, ses relations avec les Occidentaux se sont beaucoup dégradé, et il y a une peur panique de perdre le pouvoir. Toutes ces actions spectaculaires sont un des derniers instruments de pression qu'il peut avoir. Il n'y a pratiquement plus aucun sujet sur lequel la Biélorussie peut se montrer utile à l'Union européenne. Cette question de frontières a été pendant plus de vingt ans une question où l'UE a été très pragmatique. Aujourd'hui, c'est la seule source de pression sur elle. Olga Gille-Bellova

Si l'on revient au cas de la Russie, la situation de Poutine n'est pas la même, même s'il se sent de plus en plus menacé dans sa possibilité de rester très longtemps au pouvoir. C'est pourquoi qu'on a vu des mesures de renforcement autoritaires récemment. Il ne faut pas oublier que pendant longtemps, la lecture par les élites russes du monde extérieur a consisté à dire que les régimes forts pour garantir la sécurité, et donc qu'en quelque sorte aujourd'hui, les régimes trop libéraux récoltent l'instabilité qu'ils ont semée. On est dans une opposition idéologique entre régimes démocratiques et régimes autoritaires. Olga Gille-Bellova

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