Ils ne sont pas tout à fait partis. L’heure du Brexit a sonné le 31 janvier 2020, mais les Britanniques sont encore 267 à travailler au parlement européen, 79 au sein du Conseil et 730 à la Commission, selon les dernières statistiques. C’était là une promesse de l’ancien président de la Commission Jean-Claude Juncker de ne pas liquider les effectifs, alors que 2 000 des 56 000 fonctionnaires et contractuels venaient à l’époque du Royaume-Uni.

Or si leur nombre a déjà réduit quasiment de moitié, la langue anglaise, elle, reste omniprésente. Un rapport baptisé « Diversité linguistique et langue française en Europe » remis le 20 octobre au Quai d’Orsay, donne l’ampleur de cette réalité. Un peu plus de deux mois avant de prendre la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne, Paris ambitionne d’opérer un rééquilibrage au profit du français au nom du plurilinguisme, principe reconnu par le droit de l’Union. La France peut trouver des alliés dans cette bataille, alors que l’Espagne, l’Italie, la Slovénie ou encore la République tchèque ont des revendications comparables.

→ À LIRE. Dans les couloirs de l’Union européenne, le français résonne encore

La tâche ne sera pas facile, tant les usages se sont progressivement ancrés depuis les divers élargissements de 1995, de 2004 et de 2007. Les grandes institutions ont pourtant toutes leur siège en territoire francophone. À la Commission européenne, à Bruxelles, le déclin du français n’est plus à démontrer. En 1999, 34 % des documents étaient initialement en français. Vingt ans plus tard, cette proportion a chuté à 3,7 %.

26 recommandations pour changer la donne

Au Conseil européen, 2 % de la littérature administrative de 2018 étaient dans la langue de Molière. Le Parlement européen résiste un peu mieux, avec 11,7 % des documents avec le français pour langue source en 2019. « La Cour de justice est la seule institution au sein de laquelle une langue autre que l’anglais, en l’occurrence le français, reste une réalité forte », note le rapport. Basée au Luxembourg, cette dernière donne le choix au requérant sur la langue de procédure, et tous les documents sont ensuite traduits en français, la langue de délibéré.

Le rapport est désormais entre les mains de Clément Beaune, secrétaire d’État chargé des affaires européennes, et de Jean-Baptiste Lemoyne, en charge de la Francophonie. Christian Lequesne, l’expert du Centre de recherche international de Sciences Po (CERI) qui a piloté le groupe de ce travail met en garde sur le signal envoyé aux populations et fait du multilinguisme un enjeu de citoyenneté. « C’est tout le jeu du populisme de projeter sur Bruxelles la peur d’une petite élite anglophone qui serait dévoyée de sa propre langue d’origine », souligne-t-il.

Le document de travail fait un ensemble de 26 recommandations pour changer la donne. Il préconise, entre autres, l’exigence de deux langues étrangères aux concours d’entrée dans la fonction publique européenne, et la rédaction d’au moins 50 % des documents sources dans l’une des langues officielles de l’UE autre que l’anglais, à savoir l’allemand et le français.

Combler un fossé entre les citoyens

Pour mesurer la diversité linguistique, l’instauration d’un rapport annuel auraitl’avantage de « donner des éléments factuels, sur le modèle de ce que propose déjà l’ONU aujourd’hui », défend Christian Lequesne, qui alerte sur les coupes budgétaires dont ont été victimes l’interprétariat et la traduction.

D’autres préconisations visent à combler le fossé qui peut séparer les citoyens non-anglophones de l’administration européenne, en mettant systématiquement à disposition les logiciels de traduction automatiques les plus efficaces. « Il y a un facteur discriminant à prendre en compte, insiste Christian Lequesne. Aujourd’hui, une petite entreprise ne peut répondre à un appel d’offres qu’à la condition de maîtriser l’anglais. »