La liberté de la presse nobélisée
En récompensant Maria Ressa et Dimitri Mouratov pour leur travail journalistique, le Comité Nobel distingue pour la première fois une profession décrite comme «un prérequis à la paix»
Son téléphone a sonné plusieurs fois dans le vide vendredi matin. Un numéro inconnu, avec un indicatif norvégien. Dimitri Mouratov l’expliquera plus tard: il était alors trop occupé à débattre avec l’un de ses journalistes. Lorsque le rédacteur en chef de Novaïa Gazeta apprend la nouvelle, seules une poignée de secondes le sépare de l’annonce officielle à Oslo: aux côtés de sa consœur philippine Maria Ressa, à la tête de la plateforme numérique d’investigation Rappler qu’elle a cofondée il y a neuf ans, le voici récipiendaire du Prix Nobel de la paix.
Quelques minutes plus tôt, Maria Ressa reçoit le même appel alors qu’elle participe à une conférence sur son combat pour défendre la liberté de la presse dans son pays. «Je suis sans voix», lâche-t-elle à son interlocuteur norvégien. La répression croissante exercée par le président des Philippines, Rodrigo Duterte, dans le cadre de sa lutte contre le trafic de drogue a pesé dans le choix du Comité. «Le nombre de morts est si élevé que la campagne ressemble à une guerre menée contre la population elle-même», a-t-il indiqué. La lauréate, binationale américano-philippine, est d’ailleurs poursuivie pour son travail et encourt jusqu’à six ans de prison. «J’ai vu mes droits m’être ôtés, très lentement. Nous sommes témoins de mille coups de couteau donnés à notre démocratie. […] Ces hauts et ces bas me rendent folle», a-t-elle confessé.