Le Premier ministre polonais Mateusz Morawiecki, le 6 octobre 2021 lors d'un sommet en Slovénie

Le Premier ministre polonais, Mateusz Morawiecki, le 6 octobre 2021, lors d'un sommet en Slovénie.

afp.com/Ludovic MARIN

Considéré par beaucoup comme une menace pour l'UE, le rejet de la primauté du droit européen sur le droit national par la Pologne s'est invité au Conseil européen réunissant les dirigeants des Vingt-Sept à Bruxelles, jeudi et vendredi. En Europe centrale, l'offensive polonaise contre Bruxelles rencontre des échos chez certains Etats membres, explique Jacques Rupnik, directeur de recherche à Sciences Po et spécialiste de cette région.

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L'Express : Existe-t-il un risque de contagion de la position polonaise à d'autres pays d'Europe centrale ?

Jacques Rupnik : Le risque est bien sûr là, mais tout dépendra de l'issue du bras de fer entre Varsovie et Bruxelles. Certains pays partagent le positionnement polonais, au moins verbalement, comme la Hongrie du Premier ministre Viktor Orban. On y compare régulièrement l'Union européenne et sa Commission à l'URSS et Moscou. Une analogie profondément choquante. D'autres pays se montrent indulgents face aux arguments polonais, comme la Lettonie, ou la Slovénie, qui préside en ce moment le Conseil de l'UE. Cela aurait aussi pu être le cas de la Bulgarie, si elle avait un gouvernement. Tous ces pays ne veulent pas, cependant, se lancer dans une épreuve de force à la manière de la Pologne. Et celle-ci ne pourra pas compter sur deux alliés du groupe de Visegrad - auquel appartient aussi la Hongrie - si elle va au clash : la République tchèque, bientôt dirigée par une coalition de centre-droit pro-européenne ; et la Slovaquie, avec sa présidente pro-européenne et son gouvernement qu'on peut qualifier d'euro-pragmatique.

L'ingérence de l'UE en matière d'Etat de droit est-elle bien acceptée par les populations d'Europe centrale ?

L'idée d'ingérence, au départ, est impopulaire. Mais il y a un attachement à l'idée de l'Etat de droit, considéré comme l'un des acquis majeurs de l'après 1989, avec la séparation des pouvoirs et une justice et des médias indépendants. L'ancien régime communiste était caractérisé par le fait que le pouvoir était confisqué et le droit à son service. L'autre raison de cet attachement, c'est la corruption, phénomène majeur de l'après 1989 avec les privatisations, même si elle est plus forte en Bulgarie et Roumanie qu'en Pologne ou République tchèque. Les sociétés comptent sur les garde-fous de l'UE quand elles n'arrivent pas à obtenir le respect de l'Etat de droit au niveau intérieur.

Quelles sont les limites de cette acceptation ?

Autant la société civile des pays d'Europe centrale reste vigilante sur l'Etat de droit, autant elle apprécie moins l'ingérence européenne sur les domaines sociétaux, comme le droit à l'avortement en Pologne ou l'extension des droits des minorités LGBT en Pologne et en Hongrie. Elles sont plus divisées sur l'idée qu'une cour européenne puisse trancher un débat de société.

Que pensent les Polonais du bras de fer avec Bruxelles ?

La division en Europe n'est pas seulement continentale, entre l'Est et l'Ouest, mais au sein même des sociétés. En Pologne, il y a une division entre les grandes villes, plus ouvertes, plus tournées vers l'Europe, et les petites villes et le milieu rural, attentif au discours du PiS [le parti Droit et Justice au pouvoir, utraconservateur], ce qu'on retrouve dans la Hongrie de Viktor Orban ou la Slovénie de Janez Jansa. Cependant, plus des trois quarts des Polonais ont confiance dans l'UE, montrent les sondages. Donc le PiS n'ira pas jusqu'à une sortie de l'UE.

Les pays d'Europe centrale accepteront-ils une réponse très ferme de Bruxelles, telle que la suppression des fonds européens pour la Pologne et la Hongrie ?

Cela variera d'un pays à l'autre, mais c'est l'arme la plus efficace dans les mains de Bruxelles, car elle touche au portefeuille. Ces subventions représentent parfois 3 à 4% de leur PIB. Les critères de distribution suscitent leur inquiétude : il faut qu'ils soient expressément formulés. Car les populations ne doivent pas avoir l'impression qu'elles sont visées, mais bien leur gouvernement, lorsqu'il déroge aux principes européens.

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Les pays fondateurs de l'UE sont souvent taxés d'arrogance et vus comme des donneurs de leçon en Europe centrale...

Oui, il y a eu le sentiment que le processus d'adhésion a été confisqué par les experts et technocrates et qu'il a été très long - 15 ans entre la chute du communisme et l'entrée dans l'UE. Ce processus d'élargissement, en plus, était asymétrique : une Europe démocratique et prospère qui intègre des pays sortis de la dictature et économiquement arriérés. Cela a créé une forme de ressentiment, qui s'exprime aujourd'hui chez Orban et Kaczynski avec virulence, chez d'autres avec un ton moins agressif. Ces gouvernements peuvent jouer la carte du nationalisme outragé lorsqu'on dit que la manne européenne, qui a permis la modernisation de leur pays, peut être remise en cause. C'est oublier que les fonds européens ne leur sont pas dus, alors qu'ils sont perçus parfois, à tort, comme une forme de réparation pour les années de souffrance du communisme.

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