POLITIQUELes débuts diplomatiques de Joe Biden sont-ils catastrophiques ?

Crise des sous-marins : Les débuts diplomatiques de Joe Biden sont-ils catastrophiques ?

POLITIQUEL’affaire des sous-marins a entraîné une crise diplomatique sans précédent entre la France et les Etats-Unis, Paris ayant même rappelé son ambassadeur à Washington
Le président américain Joe Biden le 23 août 2021 à la Maison Blanche.
Le président américain Joe Biden le 23 août 2021 à la Maison Blanche. - UPI/Newscom/SIPA / Pixpalace
Manon Aublanc

Manon Aublanc

L'essentiel

  • La semaine dernière, l’Australie a rompu un contrat de 56 milliards d’euros pour la fourniture de 12 sous-marins par la France, préférant des appareils américains. Cette décision a entraîné la colère de Paris, qui a rappelé son ambassadeur à Washington.
  • Fin août, c’est le retrait des troupes américaines d’Afghanistan, jugé « brutal » et « désordonné », qui avait été critiqué.
  • Joe Biden, dont l’élection avait été accueillie avec soulagement en Europe, serait-il en train de rater ses premiers pas diplomatiques ?

Après le retrait d’Afghanistan, jugé brutal, Joe Biden aurait-il fait le faux pas de trop ? Depuis son arrivée à la Maison-Blanche, Joe Biden n’a cessé de répéter sur tous les tons son intention de renouer avec les alliés traditionnels de l'Amérique, après les blessures infligées par Donald Trump à la relation transatlantique et au multilatéralisme. Mais les débuts diplomatiques du président américain semblent décidément moins faciles que prévu.

Des couacs diplomatiques

En forçant la rupture du méga-contrat des sous-marins signé avec l’Australie et en prenant la place de la France, les Etats-Unis ont provoqué la semaine dernière une crise diplomatique sans précédent. Signe de sa colère, Paris a rappelé son ambassadeur à Washington, du jamais vu vis-à-vis de cet allié historique. « Cette décision unilatérale, brutale, imprévisible, ça ressemble beaucoup à ce que faisait M. Trump », a même affirmé Jean-Yves Le Drian, le ministre des Affaires étrangères, le 16 septembre sur Franceinfo. Et les critiques ont commencé bien plus tôt, lors du retrait des troupes américaines d’Afghanistan.

Prévu pour septembre, le départ des Américains a été l’objet de vives critiques aux Etats-Unis comme à l’international, notamment en raison de la rapidité avec laquelle les talibans ont repris le pouvoir à Kaboul. Joe Biden paierait-il l’addition de vingt ans de politique américaine en Afghanistan ? « Il a simplement fini ce qui avait été entrepris par les deux derniers présidents, Barack Obama et Donald Trump. Il y a une certaine continuité », analyse Denis Lacorne, directeur de recherche émérite à Sciences Po, spécialiste des Etats-Unis et auteur des livres Les limites de la tolérance (Gallimard) et Tous milliardaires, le rêve français de la Silicon Valley (Fayard). Le départ des soldats du sol afghan, Barack Obama l’avait envisagé dès fin 2014. Son successeur Donald Trump avait poursuivi le mouvement, reportant le retrait au 1er mai 2021.

« Joe Biden a terminé le travail »

« Je n’allais pas prolonger cette guerre éternelle et je n’allais pas prolonger le retrait éternel », a justifié Joe Biden une semaine après le retrait des troupes américaines. « La réorientation de la politique étrangère, elle a été amorcée dès le premier jour du mandat de Barack Obama. Quelque part, Joe Biden a simplement terminé le travail », justifie Jean-Eric Branaa, maître de conférences, spécialiste des Etats-Unis à l’université Sorbonne Paris II, auteur de Kamala Harris, L’Amérique du futur, (édition Nouveau monde), qui estime qu’il était très important pour les Américains de quitter l’Afghanistan.

« C’est la fin d’une guerre de vingt ans, il fallait en finir "quoiqu’il en coûte", comme dirait Emmanuel Macron », ajoute le spécialiste. Que ce soit pour l’Afghanistan ou pour la crise des sous-marins, les intérêts américains passent en premier, explique Olivier Richomme, maître de conférences à l’université Lumière Lyon 2 et spécialiste des Etats-Unis : « Même si "America First" était le slogan de Donald Trump, c’est en réalité le credo de tous les présidents américains. Aucun d’eux n’est en désaccord avec ça. »

Le « pivot asiatique »

Pour justifier le départ d’Afghanistan malgré les critiques, Joe Biden a annoncé son intention de rencontrer la diplomatie sur les grands défis du 21e siècle : la rivalité avec la Chine, les tensions avec la Russie, les cyberattaques et la prolifération nucléaire. S’il n’a pas remis en cause le principe posé par Donald Trump du bras de fer avec la Chine, Joe Biden entend l’aborder de façon très différente. Pour ce faire, le président américain mise sur une alliance indo-pacifique. Il recevra le 24 septembre à Washington les Premiers ministres d’Inde, du Japon et d’Australie.

« L’affaire des sous-marins ou la réunion du 24 septembre, c’est une réorientation très claire de la politique américaine étrangère sur le pivot asiatique. Il s’agit maintenant d’être encore plus fort dans la zone indo-pacifique, qui concentre les deux tiers de l’économie mondiale. Il recentre sa politique étrangère. Forcément ça fait des frustrations, notamment chez les Européens », analyse Jean-Eric Branaa. « Il est clair que les Etats-Unis se tournent désormais vers l’Asie, laissant sous-entendre que les Européens devraient un peu plus se concentrer sur l’Europe », poursuit Olivier Richomme.

Une longue expérience

Et s’il y a un spécialiste de la diplomatie, c’est bien Joe Biden. Entre son poste de vice-président sous Barack Obama et ses deux mandats à la présidence de la commission des Affaires étrangères du Sénat, Joe Bien en connaît les rouages sur le bout des doigts. « Pendant sa campagne, il se présentait lui-même comme un très bon diplomate. C’est vrai qu’il n’y a pas plus experts en politique étrangère que lui, il sait parfaitement quel est l’état du monde », observe Jean-Eric Branaa.

Prochaine étape, pour Joe Biden, son propre « sommet pour la démocratie » début décembre. Il s’agira de ne froisser aucun pays allié des Etats-Unis, sans pour autant saper les grandes ambitions de Joe Biden, pour qui l’Amérique doit mener le monde par « la puissance de l’exemple ».

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