Eric Verdeil : « La crise met en évidence l’extrême dépendance du Liban qui a vécu depuis trente ans au-dessus de ses moyens »

Depuis plusieurs années maintenant, le Liban s’enfonce dans une crise politique, économique et institutionnelle profonde. Grand spécialiste du pays, le géographe Eric Verdeil, aujourd’hui Professeur au CERI-Science Po, co-auteur notamment de l’Atlas du Liban : territoires et société (2007) et, plus récemment, de l’Atlas du Liban : les nouveaux défis (2016) revient par le menu sur les raisons qui ont amené le pays à sombrer dans une situation chaque jour plus préoccupante. Un entretien riche, complexe et essentiel pour qui souhaite comprendre la situation à laquelle fait face le pays du cèdre.

 

 

Depuis de longs mois, le Liban est en proie à une profonde crise politique, économique et institutionnelle. Comment en est-on arrivé à une telle situation ?

 

Depuis près de deux ans, le pays est frappé par une crise politique violente. Les manifestations commencées le 17 octobre 2019 – et considérées par certains comme une révolution (Thawra) – en réaction à des mesures d’austérité et une crise économique de plus en plus profonde, ont entraîné la démission du gouvernement dirigé par Saad Hariri.

Il a fallu trois mois pour nommer un nouveau gouvernement de technocrates, dirigé par l’universitaire Hassan Diab. Ce dernier n’est pas parvenu à mettre en œuvre des mesures d’apurement financier, tandis que la dévaluation de la livre libanaise s’accélérait, entrainant inflation, chômage, pauvreté, et exode de la jeunesse. L’explosion du 4 août dans le port de Beyrouth, causant de très lourds dégâts, a aussi entraîné la démission du gouvernement. Il a fallu plus d’un an, et la nomination avortée d’un président du conseil de profil technocrate, puis à nouveau de Saad Hariri, pour que les tractations politiques aboutissent à la nomination d’un nouveau gouvernement dirigé par Najib Mikati, le 10 septembre 2021.

Cette période d’instabilité et de vide politique correspond aussi à la pandémie de COVID, qui n’a pas épargné le pays du cèdre. Mais cette crise constitue moins un événement inattendu que la dernière réplique, plus puissante et destructrice, d’une série de troubles ayant affecté le pays depuis le milieu des années 2000.

Après une quinzaine d’années de relative stabilité politique, l’assassinat de Rafik Hariri en février 2005 a marqué le retour d’une nouvelle période de violence politique et d’instabilité. A plusieurs reprises, les institutions ont connu des blocages durables concernant l’élection du président de la République, l’organisation des élections, la nomination des gouvernements. Cette paralysie institutionnelle témoigne de profonds clivages politiques concernant tant la politique étrangère que les enjeux internes : orientations économiques, réformes des services publics, justice, questions sociétales… La constitution amendée par les accords de Taef en 1989 a consacré un rééquilibrage entre les grandes forces partisanes et confessionnelles, mais sans mécanisme de régulation des conflits. Chacun des trois principaux acteurs politiques (le Président de la République, chrétien maronite ; le Président du Conseil, musulman sunnite et le Président du Parlement, musulman chiite) dispose de leviers de blocages utilisés pour défendre leurs intérêts politiques. De surcroit, les règles électorales favorisent grandement les partis confessionnels en place, dominés par des leaders inamovibles. La classe politique, dominée par des gérontes, s’est très peu renouvelée depuis la fin de la guerre civile. Le pouvoir se transmet de manière essentiellement héréditaire.

La crise économique que connaît aujourd’hui le Liban résulte à la fois des choix effectués pour la reconstruction, de la corruption endémique que favorise ce système politique bloqué et de l’incapacité de définir et de mettre en œuvre des réformes face à ces problèmes pourtant dument identifiés par des opposants comme par une partie des partenaires internationaux – ces derniers étant, il faut le dire, souvent otages de leurs alliances avec les forces en place.

Rafik Hariri avait imposé un modèle de développement fondé sur les secteurs de l’immobilier, du tourisme et de la finance, reposant sur l’attraction des investissements étrangers et de la diaspora, et impliquant une parité monétaire entre la livre libanaise et le dollar, fixée en 1997 à 1500 LL pour 1 $. Ces choix ont été maintenus, alors même qu’ils ont entraîné le déclin des activités productives industrielles et agricoles, pour lesquels le Liban avait pourtant des actifs et des atouts. Elle a aussi entretenu un exode de la jeunesse qualifiée, dont les remises d’émigration constituaient un carburant essentiel de l’économie locale, tout en alimentant la spéculation immobilière. La hausse des prix résultant de ces choix économiques accentuait la pauvreté. Parallèlement, la mauvaise gestion publique, le clientélisme et la corruption ont creusé la dette publique à un niveau atteignant les 180% du PIB en 2018.

A partir du déclenchement de la guerre interne en Syrie, l’attraction des capitaux, notamment du Golfe, s’est enrayée. Les contrôles américains sur les flux financiers alimentant le Hezbollah ont accru les difficultés d’attraction monétaire. Or, ces capitaux étrangers constituaient une source essentielle de financement de la dette publique libanaise, au prix de taux d’intérêt astronomiques sur les bons de Trésor et autres titres émis par l’Etat. Les banques libanaises et leurs gros clients, dont une bonne partie de l’establishment politique, ont gagné beaucoup d’argent à ce jeu, particulièrement depuis 2016 et la mise en place par la Banque centrale d’ingénieries financières devant palier la raréfaction des capitaux externes. Ce système était en réalité une véritable pyramide de Ponzi, dont l’inéluctable effondrement a été provoqué par le défaut de l’Etat sur sa dette et la dévaluation de facto de la livre libanaise. Sa valeur a dégringolé de plus de 95%, atteignant cet été le niveau de 22.000 LL pour 1 $. Elle se situe après la nomination du gouvernement à environ 16.000 LL pour 1 $.

 

Le 10 septembre dernier, un nouveau gouvernement dirigé par Najib Mikati a été nommé. Quelles sont ses annonces pour résorber les difficultés structurelles comme conjoncturelles du pays ?

 

Najib Mikati est un homme d’affaire originaire de la ville de Tripoli. Milliardaire, il est considéré par le magazine Forbes comme la plus grande fortune du Liban. Sa prospérité vient d’abord de ses entreprises dans le domaine de la téléphonie mobile, au Liban, et ailleurs (Afrique du Sud). Il a aussi élargi ses activités vers l’immobilier et la finance, en particulier au Liban, ainsi qu’en Europe et aux USA. Ministre des Travaux publics de 1998 à 2000, il a assuré ensuite à deux reprises la charge de Président du Conseil (en 2005 et de 2011 à 2014). Opposant de Saad Hariri sur la scène sunnite – il est proche du régime syrien -, il s’est imposé à Tripoli par ses actions de mécénat et surtout des pratiques clientélistes. Son nom est cité dans quelques affaires immobilières peu claires et il illustre la confusion des registres publics et privé caractéristique de la classe politique libanaise.

Né au forceps après l’échec de Saad Hariri à former une équipe, son gouvernement est loin du commando de technocrates indépendants que les revendications populaires et la communauté occidentale espéraient. Certes, la plupart de ses membres (une seule femme parmi eux) sont diplômés des meilleures universités locales ou internationales et sont des spécialistes ayant occupé de hauts postes dans le secteur public ou privé. Si presqu’aucun n’a exercé auparavant de fonctions politiques importantes (hormis Mikati), la presse a aisément souligné les liens d’allégeance de la plupart d’entre eux avec les partis dominants la scène libanaise, à quelques exceptions près comme le médecin Firas Abiad qui s’est distingué comme directeur du seul hôpital public du Liban pendant la crise du COVID. Dans quelle mesure un tel gouvernement sera-t-il en capacité de prendre les mesures d’urgence radicales qu’appelle la crise, y compris contre les intérêts politiques et financiers de la classe dirigeante ?

Mikati s’est engagé à reprendre les négociations avec le FMI dont le plan, approuvé par le précédent gouvernement, avait été bloqué par le Parlement, qui se faisait ainsi le défenseur des intérêts des actionnaires et des banques. Il s’est également engagé, notamment lors d’une visite à Paris, à entreprendre les réformes des services publics, notamment l’électricité, qu’attendent les bailleurs de fonds occidentaux pour débloquer l’aide promise. Pour compenser l’impact social douloureux de cet apurement financier et de ces réformes, le gouvernement doit également mettre en œuvre des mécanismes de protection des ménages les plus pauvres (subventions ciblées sur la consommation et les biens essentiels, protection sociale universelle, etc.). Ces dispositifs pour lesquels des financements de la Banque mondiale sont disponibles attendent depuis des mois que les modalités d’application soient définies. Il revient également à ce gouvernement d’organiser les élections législatives prévues en mai 2022. Sachant que face aux divisions du pays, les élections législatives de 2013 ont été ajournées à plusieurs reprises, jusqu’en 2018. Vue son impopularité actuelle, la tentation pour la classe politique actuelle de reproduire ce précédent sera grande.

 

Comment cette crise se manifeste concrètement et quotidiennement pour la population libanaise ?

 

La première manifestation de la crise est économique. La dévaluation très rapide et massive de la livre libanaise (plus de 90% de sa valeur) se traduit par une dégradation du pouvoir d’achat des ménages, et une hausse de la pauvreté, dont l’indicateur de pauvreté multidimensionnel est passé en deux ans d’un niveau estimé de 49% de la population à 82% selon des estimations de l’ESCWA (Commission économique et sociale des Nations-Unies pour l’Asie occidentale). L’inflation sur les produits alimentaires atteint les 300% sur un an. La classe moyenne, qui disparaît, et les entreprises, sont particulièrement touchées par le contingentement des dollars, alors que de nombreux ménages et acteurs économiques détenaient des comptes dans cette monnaie. L’épargne de toute une vie, les économies pour la retraite ou pour les études des enfants sont inaccessibles et, très probablement, envolées en fumée. 50% de la population n’avait de toute façon pas de compte bancaire et aucune réserve. Les entreprises ont du mal à importer en raison de ces difficultés de change.

L’émigration, qui n’a jamais cessé depuis la guerre civile, connaît de nouveaux sommets. Ceux qui ont les moyens de partir ou d’envoyer leurs enfants à l’étranger saisissent toutes les occasions. Les personnes très qualifiées sont les premières à partir. La profession médicale, notamment les jeunes et ceux d’âge intermédiaire devant rembourser les dettes contractées pour les études, quittent le pays en masse, pour le Golfe, l’Europe ou l’Amérique du Nord. Plus de 30.000 médecins auraient ainsi fait défection. Les professions de santé, infirmière en tête, emboitent le pas.

La dégradation de la situation financière, dans un pays dont la production locale est très limitée, entrainent de nombreuses pénuries. Les plus préoccupantes concernent les médicaments, notamment dans le contexte du COVID. L’énergie est concernée au premier chef également. L’électricité publique connaissait déjà un rationnement qui allait croissant, en raison de problèmes techniques, mais surtout de l’incapacité de Electricité du Liban, en quasi-faillite, à acheter du fioul pour les centrales. Ces dernières semaines, à peine deux heures de courant sont assurées en moyenne. Traditionnellement, les groupes électrogènes de quartier prenaient le relai, mais le mazout devient de plus en plus difficile à trouver sur le marché en raison de pratiques spéculatives de la part des importateurs, qui anticipent la levée des subventions et la possibilité d’engranger des profits supplémentaires, en raison aussi de la contrebande vers la Syrie. Les ménages et les entreprises qui ont des moyens investissent dans des dispositifs d’autonomie énergétique, associant batteries et panneaux solaires. Certaines municipalités prennent des initiatives similaires. Mais ces réponses onéreuses restent dérisoires face à l’ampleur des besoins.

Depuis le mois de juillet, des pénuries de carburant apparaissent également, pour des raisons similaires aux difficultés de la production électrique. Les Libanais doivent patienter de longues heures devant les stations-service à l’approvisionnement erratique, alors que le retrait désordonné des subventions provoque la flambée des prix.

Les pénuries d’énergie provoquent des perturbations de toute l’économie, mais aussi des autres infrastructures vitales. Les hôpitaux font ainsi face à des coupures de courant et de l’alimentation en oxygène, la conservation des médicaments et tous les appareils électriques et électroniques sont perturbés, entrainant de nombreux dégâts dans le contexte de COVID.  La chaine du froid est également malmenée dans l’agroalimentaire, la distribution et chez les habitants obligés de faire leurs courses au jour le jour. La viande disparaît des menus. Les habitants dépendent de plus en plus des distributions organisées par les programmes humanitaires. L’alimentation en eau potable est interrompue par la mise à l’arrêt des pompes. L’internet est perturbé par des coupures dans plusieurs régions. Les temporalités de la vie quotidienne sont totalement bouleversées par ces pénuries et les contraintes d’organisation qu’elles impliquent.

Parmi les autres secteurs essentiels de la vie sociale, l’école et l’université paient un lourd tribut. Comme partout, le COVID a imposé l’enseignement à distance mais les coupures d’électricité et d’internet entravent les enseignements. De plus de nombreuses familles ne sont pas équipées. Face aux baisses de salaire, de nombreux enseignants démissionnent et quittent le pays. La rentrée s’effectue ces jours-ci, avec un point d’interrogation : le transport scolaire est inaccessible à beaucoup, les écoles privées, qui dominent le paysage, subissent le contrecoup de la paupérisation générale, de nombreux parents peinant à payer les écolages.

 

La situation actuelle a-t-elle consacré des transformations dans l’organisation spatiale du pays ?

 

Faute de données dans un pays qui en produit peu et face à des bouleversements aussi rapides, il est difficile de cerner avec précision l’impact régional de la crise. En apparence, le basculement dans la pauvreté touche toutes les régions. L’indicateur multidimensionnel de pauvreté calculé par l’ESCWA va de 73% à Beyrouth à 92% dans les trois régions périphériques du Akkar, de Baalbek-Hermel et de Nabatieh. L’hyper-pauvreté touche 29% des ménages à Beyrouth, contre 51% au Akkar. Cet apparent basculement général dans la pauvreté s’inscrit néanmoins dans la continuité d’un processus d’accroissement des inégalités tout au long des trente dernières années, encore récemment mesuré par une enquête de l’administration des statistiques en 2018.

Les inégalités sociales deviennent extrêmes. Toutefois, à Beyrouth et dans la région capitale, les bénéficiaires de fresh dollars échappent à la perte de pouvoir d’achat et leur consommation dispendieuse dans les restaurants restés ouverts suscitent la rancœur. Il s’agit des personnes bien connectées, des employés des ONG ou des organisations étrangères, des familles dont des membres travaillent à l’étranger et transfèrent des capitaux via de nouveaux comptes nouvellement créés permettant d’échapper aux contingentements qui touchent les lollars (Lebanese Dollars).

Mais la plus grande partie de la population subit fortement la crise, notamment en raison des entraves à la mobilité, en l’absence de transports publics. Entre le COVID et l’opportunité d’exploiter un potager, certaines familles font le choix de se réinstaller dans les régions rurales dont elles sont originaires. Mais ce mouvement est difficile à quantifier. Dans les régions déjà marginalisées, déjà à l’écart des flux monétaires liés à la mondialisation des Libanais, le dénuement est dramatique et les familles ont peu de ressources pour faire face au choc. Un événement tragique survenu cet été dans un village du Akkar illustre cette situation. Après avoir arraisonné un camion d’essence de contrebande, l’armée l’avait abandonné aux habitants qui se sont précipités pour se partager le fond de cuve. S’en est suivie une dispute avec son propriétaire qui avait allumé son briquet. L’explosion qui a suivie a fait plus de 40 morts. Les bagarres quotidiennes aux pompes à essence et pour s’approprier les rares biens disponibles dégénèrent parfois également.

La crise met en évidence l’extrême dépendance énergétique et alimentaire du Liban, qui a vécu depuis trente ans au-dessus de ses moyens, dans une débauche de consommation et d’investissements privés somptuaires, inefficaces et improductifs. L’urbanisation désorganisée du pays et la destruction des espaces naturels et agricoles, visibles sur tout le territoire, sont emblématiques de ce gaspillage de ressources dont la crise vient révéler l’ampleur. Ces dégradations liées au mode d’organisation spatiale s’ajoutent aux pertes financières enregistrées par l’Etat et le système bancaire.

 

La guerre en Syrie a-t-elle joué un rôle dans la crise que vit le pays ? Si oui, lequel ?

 

La guerre en Syrie a eu plusieurs impacts. D’une part, elle a accentué les divisions politiques internes, et le blocage de l’action gouvernementale. Le Hezbollah s’est engagé fortement aux côtés du régime syrien, qu’il a contribué à empêcher de tomber. Il a aussi lutté contre les organisations jihadistes qui avaient trouvé refuge dans certaines régions du Liban. Au contraire, d’autres organisations politiques soutenaient les forces opposées au régime de Bachar Al Assad, tandis que certains groupes prônaient la neutralité du Liban. Le Hezbollah a soutenu les prétentions politiques de ses alliés gouvernementaux, le parti du général Aoun et le Mouvement Amal qui lui laissaient les mains libres. Ces alliances ont radicalisé les oppositions internes et ont laissé s’accroitre la corruption, tandis que le Hezbollah délaissait la politique de réformes qu’espéraient certains de ses partisans. L’implication du Hezbollah et son poids croissant sur la scène locale a aussi conduit les Etats du Golfe à suspendre leur appui (et leurs interférences politiques) au Liban.

La guerre a aussi entrainé l’arrivée, à partir de 2012, d’environ 1,5 million de réfugiés syriens, majoritairement répartis dans le nord et dans la Bekaa, pour l’essentiel dans les villes et non dans des camps informels qui n’ont accueilli que 20 à 25% d’entre eux. Malgré l’aide internationale, ces personnes vivent dans une extrême pauvreté et précarité, privés de nombreux droits dont celui de se déplacer librement. Malgré les restrictions concernant les possibilités de travailler dans de nombreux secteurs, cette présence constitue une concurrence informelle pour les Libanais les moins qualifiés. Ces réfugiés exercent par ailleurs une pression sur les réseaux d’infrastructure, déjà très dysfonctionnels. Ils sont dépeints presque unanimement par la classe politique comme un fardeau, et parfois comme une menace terroriste.

Pourtant, leur présence a permis au Liban de capter un important montant d’aides, bénéficiant aussi à la population locale, progressivement considérée comme cible de l’aide pour éviter les tensions entre réfugiés et habitants, notamment dans les zones périphériques les plus pauvres. Toute une frange qualifiée de la population a aussi pu trouver du travail dans les ONG et organisations internationales. Le bilan n’est donc pas univoque et on ne peut pas considérer la présence des réfugiés comme une cause directe de la crise.

 

Quel rôle la diaspora peut-elle jouer dans la résolution de la crise libanaise ?

 

Les estimations de la diaspora libanaise, basée sur des critères souvent fantaisistes, la dépeignent comme plus nombreuse que la population résidente. Des estimations plus rigoureuses, notamment les enquêtes menées par l’Université Saint Joseph et la comparaison des personnes inscrites avec la population résidente estimée, aboutissent à une fourchette de 1 à 1,5 millions de personnes ayant toujours des liens avec leur famille et les aidant plus ou moins régulièrement par des envois de remise (soit quand même 25 à 30% des résidents). Aujourd’hui, les analystes estiment que les départs touchent surtout des hommes jeunes, qualifiés, issus de toutes les confessions alors que, par le passé, la diaspora était majoritairement chrétienne.

La diaspora est parée d’une aura de réussite économique. Les dirigeants politiques encouragent par divers moyens les investissements. Dans le même temps, la population en diaspora est privée de vote à l’étranger. Lors d’élections récentes, certains partis ont organisé des ponts aériens pour s’assurer du vote de leurs partisans. Mais beaucoup d’expatriés ne sont d’ordinaire pas désireux de voter et leur départ à l’étranger s’explique aussi par un rejet des mœurs politiques jugés irréformables.

Différentes initiatives politiques dans les années 2010 ont toutefois ouvert la possibilité d’un vote des membres de la diaspora, qui reste étroitement encadré et malcommode. Les élections de 2018 ont vu un nombre assez limité d’expatriés voter (moins de 50.000 personnes) mais leur préférence pour les partis indépendants critiques du système était nette. Ainsi, ils représentent une menace et la classe politique en place risque de ne pas favoriser plus avant leur implication.

Depuis les mobilisations de l’automne 2019 puis après l’explosion, grâce aussi aux connexions internet plus aisées, de nombreuses revendications d’un rôle accru pour la diaspora se font entendre. D’abord, comme vecteur de l’aide humanitaire mais aussi pour une implication politique plus forte. Aux Etats-Unis et en Europe, la diaspora s’organise. Certains revendiquent un élargissement et une facilitation du droit de vote. Beaucoup d’autres, néanmoins, et notamment ceux qui se hâtent de quitter le pays, désespèrent d’un changement de système et sont peu désireux de s’impliquer politiquement.

 

1 Comment on Eric Verdeil : « La crise met en évidence l’extrême dépendance du Liban qui a vécu depuis trente ans au-dessus de ses moyens »

  1. Merci Eric Verdeil pour cette mise à jour de la situation au Liban, un pays qui vous attire depuis si longtemps. Maryse verfaillie

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