Afghanistan : "Maintenant les islamistes, les djihadistes partout dans le monde, se disent que c’est possible"

Des combattants talibans célèbrent leur victoire en défilant dans des véhicules militaires à Kandahar, le 1er septembre 2021 ©AFP - JAVED TANVEER
Des combattants talibans célèbrent leur victoire en défilant dans des véhicules militaires à Kandahar, le 1er septembre 2021 ©AFP - JAVED TANVEER
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Des combattants talibans célèbrent leur victoire en défilant dans des véhicules militaires à Kandahar, le 1er septembre 2021 ©AFP - JAVED TANVEER
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Atiq Rahimi, écrivain et réalisateur, et Jean-Pierre Filiu, historien, professeur à Sciences-Po, auteur de «Le milieu des mondes. Une histoire laïque du Moyen-Orient de 395 à nos jours » (Seuil), sont les invités du Grand entretien de France Inter.

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"Je crois qu’il faut faire une distinction très nette entre la débâcle catastrophique des États-Unis et la réalité de la souffrance terrible du peuple afghan", estime Jean-Pierre Filiu. "Parce qu’on entend une petite musique à Washington visant à culpabiliser les Afghans : “Pendant 20 ans, on a voulu vous aider à vous développer, mais vous n’avez pas été au niveau alors on s’en va !” La réalité, c’est cette douleur, cette souffrance du peuple afghan qui a été abandonné."

"Les Européens ont vraiment essayé d’implanter des institutions. Si on prend le budget faramineux englouti par les Américains en Afghanistan, il était essentiellement militaire, et quand il ne l’était pas, il était largement pour des consultants ou des entreprises américaines. À partir de maintenant, deux choses sont sûres : la première, c’est que la prochaine saison de l’opium, dans quelques semaines, va être historique, avec une récolte qui devrait amener à un niveau record d’héroïne dans le monde entier. Plus que 90 % de l’héroïne mondiale provient du pavot afghan. La deuxième, c’est que l’État islamique, qui a ensanglanté Kaboul vendredi dernier, va servir de repoussoir pour les talibans qui de toute façon veulent le liquider, puisque c’est une branche dissidente de leur mouvement. Ils pourront dire : vous voyez, nous collaborons contre le terrorisme."

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Pour Atiq Rahimi, les bonnes intentions affichées par les talibans ne sont pas du tout crédibles : "Il ne faut pas tomber dans ce piège : évidemment, aujourd’hui, [les talibans] sont obligés de montrer un visage bon enfant. De l’autre côté, quand on voit les villes tombées bien avant qu’ils ne prennent Kaboul, elles étaient terrorisées par l’arrivée des talibans. Il y a eu des massacres, des journalistes, des poètes, des musiciens tabassés, etc. Maintenant, on attend la construction de leur gouvernement, et à partir de là ça va être très compliqué."

"Au niveau local, les chefs talibans locaux auront sans doute toute latitude"

Jean-Pierre Filiu regrette également qu'on en sache aussi peu sur l'organisation réelle des talibans : "Une des grandes faiblesses dans l’échec absolu des Américains, c’est qu’on ne sait rien sur l’organisation interne des talibans. Après 20 ans à lutter contre eux, on n’est pas capables d’avoir un organigramme sérieux du mouvement, et on ne sait pas si la personne qui s’est exprimée sur les femmes pèse réellement. C’est une organisation opaque. Il faudra voir s’ils font le geste d’un gouvernement inclusif, avec des personnalités qui ne sont pas talibanes. Mais au niveau local, les chefs talibans locaux auront sans doute toute latitude pour appliquer ce qu’ils croient être juste."

"Ils sont très clairs sur leur objectif : l’application de la charia", rappelle Atiq Rahimi. "Donc les femmes à la maison, etc. On est en train de changer l’identité d’un peuple, d’un pays, d’une culture. Cette fois-ci, les talibans ne sont pas venus comme en 1996, ils viennent avec une autre manière de voir, un autre ordre géopolitique, soutenus par de grandes puissances comme la Chine, la Russie, l’Iran, le Pakistan, l’Arabie saoudite… Ils sont au pouvoir comme c’était le cas en Iran : au début de la révolution iranienne, tout le monde était ravi, mais après on a vu ce qui s’est passé. Je sais que maintenant les islamistes, les djihadistes partout dans le monde, se disent que c’est possible."

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