Des doses de vaccins livrés à Madagascar dans le cadre du programme Covax, le 
 8 mai 2021.

Des doses de vaccins livrés à Madagascar dans le cadre du programme Covax, le 8 mai 2021.

Mamyrael / AFP

"Nous sommes confrontés à une pandémie à deux vitesses, alimentée par l'inégalité". Fin juin, le président de l'Organisation mondiale de la Santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, affiche de nouveau sa déception. Déjà en mai dernier, l'ancien ministre de la Santé éthiopien avait dénoncé une "scandaleuse inégalité" dans la distribution des vaccins. Mais l'homme politique africain semble crier dans le vide. Alors que près de 3,3 milliards de doses ont déjà été administrées dans le monde, seulement 1 % a été inoculée dans les pays les plus pauvres. Si la fracture vaccinale semblait prévisible, un mécanisme de solidarité a pourtant été mis sur pied, fin avril, pour garantir l'accès aux vaccins des pays à revenus faibles ou intermédiaires. Son nom tient en cinq lettres : Covax.

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Au regard de l'objectif initial, le programme codirigé par Gavi, la Coalition pour les innovations en matière de préparation aux épidémies (CEPI) et l'OMS est loin d'être satisfaisant. Le dispositif prévoyait la livraison de 2 milliards de doses dans le monde en 2021 dont au moins 1,3 milliard à 92 pays à faible revenu pour début de 2022. Concrètement, le programme devait permettre à l'ensemble des pays participants de vacciner au moins 20 % de leur population. "Cet objectif ne sera pas atteint", soutient auprès de L'Express Anne Sénéquier, chercheuse associée à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS), dont elle codirige l'observatoire de la santé. Pour l'instant, le mécanisme Covax a fourni seulement 100 millions de doses aux 135 territoires participants.

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"On peut parler d'un échec sur plusieurs niveaux. Aujourd'hui, on a déjà inoculé 3,3 milliards de doses à travers le monde, ça aurait été suffisant pour vacciner la totalité des personnes vulnérables et du personnel soignant à travers le monde. On aurait pu éviter l'émergence du variant Delta", complète Anne Sénéquier. Alors comment expliquer un tel revers ? La réponse se trouve dans la stratégie opérée par les pays du Nord qui ont monopolisé le marché - très restreint - des vaccins contre le Covid-19. Un quart des 3,3 milliards de doses administrées dans le monde l'ont été dans les pays du G7, qui hébergent seulement 10 % de la population mondiale. "La théorie n'a pas résisté au principe de réalité des pays occidentaux qui ont acheté des vaccins sans se soucier des conséquences", souligne Anne Sénéquier.

"Une solidarité incomplète et hypocrite"

L'Union européenne a atteint son objectif de disposer de suffisamment de doses pour vacciner 70% de sa population adulte, a annoncé samedi la présidente de la Commission Ursula von der Leyen. Alors qu'à peine plus de 1 % des Africains sont vaccinés,"les Européens, sans masques, sont dans les stades de football pour l'Euro", a tancé Strive Masiyiwa, envoyé spécial de l'Union africaine (UA) pour les achats de vaccins contre le Covid-19, lors d'un point presse le 1er juillet. Pointés du doigt, les pays riches ont affiché des signes de solidarité ces derniers mois. La France finance Covax à hauteur de 100 millions d'euros, l'UE octroie 850 millions au programme et les Etats-Unis ont envoyé 1,6 milliard. Mais si l'argent est posé sur la table, les doses manquent.

Part de la population ayant reçu la première dose de vaccin contre le Covid-19

Part de la population ayant reçu la première dose de vaccin contre le Covid-19

© / Flourish

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"C'est une solidarité incomplète et hypocrite : les pays du Nord veulent bien payer, mais ils confisquent les doses qui sont disponibles. Pour que Covax réussisse, il faut de l'argent et la possibilité matérielle de convertir les sous en doses vaccinales", constate auprès de L'Express Bertrand Badie, spécialiste des relations internationales et professeur émérite des Universités à Sciences po Paris. S'il salue tout de même le mécanisme porté par l'OMS "sans lequel la situation serait 1000 fois pire", il épingle quelques pays très gourmands : "Le Canada (37 millions d'habitants) a en sa possession 110 millions de doses !" En plus de la main-mise des pays du Nord sur les flacons, le dispositif de solidarité a joué aussi de mauvaise fortune. En effet, le programme de solidarité avait tout misé sur les vaccins Astrazeneca - plus faciles à conserver - produits par le laboratoire indien le Serum Institute of India.

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Mais le regain de l'épidémie chez le géant asiatique a poussé l'État indien à fermer le robinet et à garder le précieux sérum pour sa population."Covax c'est comme un assureur, ils vous assurent la possibilité de couvrir vos frais de vaccination. Mais s'il n'y a pas de matériel, il a beau vous assurer, il ne se passera rien", illustre Bertrand Badie. Privé des précieux sérums fabriqués en Inde, Covax a demandé de l'aide auprès des pays riches ces derniers mois. Les dirigeants du G7 se sont engagés à livrer 870 millions de doses aux Etats du Sud. En parallèle, le dispositif piloté par l'OMS a signé au printemps de nouveaux contrats d'achat avec les laboratoires Moderna (500 millions de doses), Johnson & Johnson (200 millions), Novavax (350 millions) et le Chinois Clover (414 millions) afin de ne pas mettre ses oeufs dans le même panier.

"Une réforme drastique de l'OMS"

Résultat des courses : le programme a réservé des commandes pour 3,2 milliards de doses, mais ces dernières arrivent aux compte-gouttes. Par ailleurs, inonder un pays de flacons reste insuffisant pour enclencher une campagne de vaccination dans un pays en voie de développement. "Aider une campagne de vaccination, ce n'est pas seulement apporter des vaccins sur le tarmac. Toute la partie logistique (formation du personnel, respect de la chaîne du froid...) reste très peu financée. C'est moins glamour en termes de communication pour les pays donateurs", tance Anne Sénéquier. Mais la spécialiste soulève aussi une autre question concernant l'organisation de ce mécanisme. Alors que les vaccins sont fabriqués dans les pays du Nord, aurait-il été plus judicieux pour leurs voisins du Sud de créer leur propre chaîne de production ?

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"Il aurait été pertinent de financer la production sur le continent africain - qui dispose déjà d'unités de production que ce soit en Afrique Australe ou au Maghreb", répond la chercheuse. "L'idée, c'est de donner les moyens de faire soi-même afin de rééquilibrer un peu sur le jeu de l'échiquier international." Et ce n'est pas impossible puisque le 5 juillet, le Maroc est entré dans le cercle très fermé des nations productrices de vaccin. Le Royaume produira cinq millions de doses (Sinopharm) par mois. Mais la fracture vaccinale a encore de beaux jours devant elle d'autant plus que le capitaine du navire semble à peine audible. Sur ce dossier, l'OMS a montré les limites des pouvoirs qui lui étaient conférés. "Il aurait fallu lui donner le pouvoir d'orchestrer la gestion des vaccins nécessaires (...) Au lieu de cela, chacun à garder sa souveraineté sanitaire", reprend Anne Sénéquier.

Un constat que partage Bertrand Badie qui estime de son côté qu'une "réforme drastique de l'OMS" est nécessaire. "Les grands laboratoires qui fabriquent des vaccins considèrent que c'est plus avantageux pour eux de négocier avec les différents États, mais un monde idéal serait un monde ou les laboratoires auraient en face d'eux que l'OMS", constate le spécialiste des relations internationales. Si les pays riches ont bien avancé sur le plan de la couverture vaccinale, le continent africain est rattrapé par une troisième vague d'une ampleur inédite. Le chiffre de nouveaux cas (5,5 millions depuis le début de la pandémie) double désormais toutes les trois semaines, rapporte le quotidien du Monde. "Si en 2022 on se retrouve avec un variant en Tanzanie ou au Bangladesh qui va défier l'immunité acquise en 2021, il faudra revacciner tout le monde", conclut Anne Sénéquier.

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