Les délégations chinoise et américaine à la première réunion de haut niveau entre les deux pays depuis l'élection du président des Etats-unis Joe Biden, le 18 mars 2021 à Anchorage, en Alaska

Les délégations chinoise et américaine à la première réunion de haut niveau entre les deux pays depuis l'élection du président des Etats-unis Joe Biden, le 18 mars 2021 à Anchorage, en Alaska

afp.com/Frederic J. BROWN

A 78 ans, celui que son prédécesseur surnommait "Sleepy Joe", se présente chaque semaine davantage comme le héraut de l'Occident, face aux régimes autoritaires - en particulier la Chine et la Russie. Au point que, depuis la fin de la guerre froide, le monde n'a rarement paru autant divisé entre deux camps.

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Tout un symbole, les Etats-Unis se sont joints le 22 mars à l'Union européenne (UE), au Canada et au Royaume-Uni pour sanctionner au total quatre dirigeants chinois jugés liés à la persécution des Ouïgours dans la province du Xinjiang. Il s'agissait des premières mesures européennes visant la Chine depuis le massacre de Tiananmen, en 1989. Ulcéré, l'empire du Milieu a rapidement répliqué en frappant plus fort : il a annoncé dans la foulée des mesures contre dix personnalités (parlementaires et chercheurs) et quatre entités européennes ; puis contre des Britanniques, des Canadiens et des Américains.

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Ce choc des valeurs a été spectaculairement mis en scène lors de la rencontre en Alaska, le 18 mars, entre les hauts représentants des Etats-Unis et de la Chine. Dans une attitude très directe, Antony Blinken, le secrétaire d'Etat américain, a déroulé une longue longue liste de griefs (répression au Xinjiang et à Hongkong, pressions sur Taïwan...). Mais, loin de se laisser intimider, les représentants chinois ont vertement répliqué, renvoyant les Américains à leurs divisions internes. "De nombreux Américains ont eux-mêmes peu confiance dans la démocratie aux Etats-Unis", ont-ils critiqué, demandant à Washington de cesser de promouvoir son système dans le reste du monde.

Surenchère verbale entre les deux camps

Dans ce climat d'extrême polarisation - Joe Biden a par ailleurs qualifié de "tueur" le président Vladimir Poutine - , chaque camp tente de resserrer les liens. Les Etats-Unis, qui se sont engagés à monter cette année un "sommet pour la démocratie", ont organisé en ce mois de mars une réunion du "Quad" - avec l'Australie, le Japon et l'Inde - largement consacrée à la façon de contrer la menace chinoise dans la région Indo-Pacifique. Antony Blinken s'est aussi rendu au Japon et en Corée du Sud. De leur côté, Pékin et Moscou ont voulu afficher un front commun en Chine, où Wang Yi, le ministre des affaires étrangères, a accueilli le 22 mars à bras ouverts son homologue Sergueï Lavrov. Tous deux ont fustigé "l'utilisation des droits de l'homme et de la démocratie comme une excuse pour interférer dans les affaires internes des autres pays", a insisté la presse officielle chinoise. L'Empire du Milieu s'est, en outre, empressé de signer cinq jours plus tard un "pacte de coopération stratégique de 25 ans" avec l'Iran, prévoyant des investissements stratégiques réciproques dans différents domaines (transports, énergie, industrie, services).

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Les deux camps persistant dans leur position, la surenchère verbale pourrait bien continuer. D'un côté, l'administration Biden, traumatisée par l'envahissement du Capitole début janvier, cherche à unir le pays autour des valeurs démocratiques, contre ceux qui les bafouent. "Le président américain veut par ailleurs réinventer une politique étrangère qui a été jalonnée d'échecs depuis la chute du mur de Berlin, ce qui passe par la mobilisation d'un certain nombre de symboles (Occident, droits de l'homme, monde libre)", souligne Bertrand Badie, spécialiste des questions internationales et professeur à Sciences Po. Or, la méfiance envers Pékin est l'un des rares sujets mettant d'accord les Démocrates et les Républicains. En face, Pékin et Moscou, qui ont tout autant besoin de symboles, ne cessent de dénoncer "l'impérialisme" et "l'hypocrisie" de l'Ouest, pour mieux souder leur population autour d'un sentiment nationaliste.

L'Union européenne tiraillée

Si les tensions sino-américaines ne cessent de croître, le monde risque-t-il, pour autant, de se retrouver coupé en deux, comme au temps de la guerre froide ? Cela reste à voir. "L'interdépendance entre les économies est telle aujourd'hui que les pays démocratiques ne peuvent pas aller trop loin face à la Chine, qui considère de son côté que le temps où les pays étrangers lui dictaient leur loi est bel et bien révolu", poursuit Bertrand Badie. En Asie, le Japon et la Corée du Sud ne peuvent se passer sur un plan commercial de leur puissant voisin communiste, avec lequel ils coopèrent au sein de l'ambitieux traité de libre-échange régional signé en novembre dernier.

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Quant à l'Union européenne, elle refuse aussi de se laisser embarquer dans le conflit sino-américain et de devoir choisir son camp. S'il est sensible à la question des droits de l'homme, le Vieux continent, qui revendique son "autonomie stratégique", n'a pas intention de se brouiller définitivement avec la Chine, son premier partenaire commercial. "L'Europe essaye de trouver sa voie. Certains, comme les dirigeants français et allemand, affirment qu'on ne peut pas se fermer la porte du marché chinois. Mais, comme en Amérique, la Chine devient un sujet politique, et les responsables sont de plus en plus obligés d'écouter leur opinion publique, très négative par rapport à ce pays", résume Philippe Le Corre, chercheur à la Harvard Kennedy School. Joe Biden va devoir encore batailler pour donner corps à son club des démocraties.

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