Téhéran et ses partenaires attendent les États-Unis de Joe Biden de pied ferme
Les signataires de l’accord nucléaire sont prêts à s’engager dans de nouvelles négociations.
- Publié le 21-12-2020 à 21h29
- Mis à jour le 20-01-2021 à 20h03
Après les crispations de ces dernières semaines, les acteurs du dossier nucléaire iranien ont choisi de temporiser en privilégiant le dialogue. À moins d’un mois de l’investiture du nouveau président américain, les ministres des Affaires étrangères des pays signataires de l’accord de Vienne ont acté, lundi lors d’une visioconférence, leur volonté de "répondre de manière positive" au retour prévu des États-Unis autour de la table des partenaires. Britanniques, Français, Allemands, Russes et Chinois se disent prêts à tenter un nouvel "effort commun". Objectif : revenir à la lettre de l’accord nucléaire de 2015 après une série d’engagements non tenus, voire conclure un nouvel accord - au cadre plus large - qui réponde à la nouvelle donne dans la région. Le patron de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AEIA), qui surveille le programme nucléaire iranien, a plaidé lundi en faveur d’un nouveau texte établissant la manière dont l’Iran peut faire marche arrière, ses infractions ayant été trop nombreuses pour se contenter de l’accord existant.
Une désescalade recherchée
Tous y aspirent à une désescalade. L’Iran cherche à redresser son économie, mise en mal après quatre ans de la campagne de "pression maximale" imposée par l’administration Trump. Le président Hassan Rohani a promis que son gouvernement ferait "tout ce qui est en son pouvoir pour briser les sanctions" économiques et financières qui affectent le pays.
Téhéran sait qu’une éventuelle reprise des négociations passe par Washington. Suite au retrait américain de l’accord nucléaire en mai 2018, les partenaires européens ont constaté l’étroitesse de leur marge de manœuvre. Et pour cause, les sanctions économiques et financières rétablies depuis deux ans et demi par les États-Unis cadenassent tout. À commencer par les ventes de pétrole, source de revenus importante pour le pays. En outre, en vertu de l’extraterritorialité du droit américain, celles-ci s’imposent à toutes les entreprises, même étrangères, qui veulent faire des affaires en Iran. Signe d’espoir du côté iranien, le gouvernement Rohani a d’ores et déjà budgété le retour des exportations de brut pour 2021.
Loi en veilleuse
Le président élu Joe Biden a, quant à lui, exprimé son souhait de reprendre la diplomatie avec Téhéran et de réintégrer son pays dans l’accord nucléaire. Mais vu le changement de rapport de force dans la région, à la faveur des rapprochements israélo-arabes, l’administration Biden pourrait être tentée de maintenir une partie de la pression existante sur Téhéran pour tenter de joindre d’autres dossiers à la négociation. Une partie de sa future administration aura certes l’avantage d’avoir déjà négocié - avec succès - sous Obama, mais la même fin de non-recevoir concernant les sujets à négocier (par exemple, le programme balistique) risque de se représenter. Et la normalisation complète avec l’Iran et se limiter au seul dossier nucléaire.
Dans un élan de conciliation, l’Iran a mis en veilleuse sa toute récente loi d’accélération de son programme nucléaire. Sa mise en œuvre est reportée… après l’investiture de Joe Biden. Adoptée au début du mois, elle permet de pousser l’enrichissement de l’uranium à 20 % et de suspendre l’accès des inspecteurs de l’AIEA aux sites iraniens, deux mesures en contravention flagrante de l’accord de Vienne.
Les élus ultraconservateurs l’avaient proposée dans la foulée de l’assassinat, fin novembre, du physicien nucléaire Mohsen Fakhrizadeh, considéré comme le père du programme atomique iranien. Selon Clément Therme, cette loi inaugure une "stratégie de négociation" de Téhéran. Il s’agit d’une technique de "marchandage" qui consiste "faire réagir l’Occident". Car depuis une quinzaine d’années, l’Iran a bien compris qu’il n’y a que la question nucléaire pour faire réagir l’Occident. "Plus le programme nucléaire accélère, plus l’Occident s’inquiète et oublie les autres dossiers que sont les droits de l’homme, le programme de missiles balistiques, et l’influence régionale de l’Iran. Plus il y a de nucléaire, plus l’Occident est aveuglé", estime l’historien, spécialiste de l’Iran, interrogé lors d’un webinaire organisé la semaine dernière par le Centre arabe de recherche et d’études politiques (Carep), basé à Paris. "C’est donc plutôt un signe d’ouverture, avec un risque bien sûr d’accélération du programme."
Une "vengeance" indirecte
L’Iran s’était progressivement écarté de ses engagements nucléaires dès le mois de mai 2019, en accroissant le taux d’enrichissement et le stockage de son uranium. L’annonce, il y a une quinzaine de jours, de l’installation de trois cascades de centrifugeuses de nouvelle génération dans l’usine de Natanz (centre) n’a fait que confirmer que l’Iran avait bien repris le développement de son programme nucléaire, au mépris de ses engagements internationaux.
L’exécution, le 12 décembre, de Ruhollah Zam, un journaliste dissident condamné à mort pour espionnage, semble indiquer que Téhéran réagit aux pertes subies, même si c’est sur un autre terrain. Une "vengeance" indirecte, selon Clément Therme. "C’est une réponse au meurtre du scientifique iranien. Puisqu’il n’a pas les capacités d’aller tuer un responsable nucléaire israélien, l’Iran élimine quelqu’un qui est sous leur coupe, un opposant iranien accusé de travailler avec les services secrets (israéliens), qui ont supposément tué l’ingénieur iranien. Ce régime a des moyens limités, c’est pour cela qu’on dit que ce régime est d’abord dangereux pour sa propre population."
D’ici le 20 janvier, des tensions peuvent encore apparaître. Le premier anniversaire, tout début janvier, de l’assassinat par les États-Unis de Qassem Soleimani, chef du corps expéditionnaire des Gardiens de la révolution, peut s’avérer un moment délicat, propice à des provocations et aux dérapages. Des miliciens ont tiré des roquettes en direction de l’ambassade des États-Unis en Irak, le week-end passé à Bagdad. Un signe de l’influence que l’Iran continue de projeter dans la région… Sans compter que d’ici la fin de son mandat, un ultime coup d’éclat de Donald Trump reste toujours envisageable dans ce dossier très représentatif de son action présidentielle à l’étranger. Si tel était le cas, cela ne ferait que compliquer la reprise en main de l’administration Biden.