Après ces deux mois et demi de procès et ce verdict, la question peut se poser : au vu du caractère « historique » des attentats de janvier 2015, la justice antiterroriste n’a-t-elle pas voulu remplir au maximum le box des accusés en prenant dans ses filets des individus dont les agissements relevaient davantage d’une délinquance de droit commun ? Tout en étant sévère pour des accusés proches d’Amedy Coulibaly, la décision de la cour d’assises pointe clairement certaines faiblesses de l’accusation. « Les juges ont juste dit que la moitié des accusés n’avaient rien à faire dans le box pour un procès antiterroriste », estime Sharon Weill, maître de conférences en droit international à l’Université américaine de Paris.

Le premier enseignement est que la cour d’assises s’est refusée à taper fort et tous azimuts comme l’y avait invité, la semaine dernière, le parquet national antiterroriste. En conformité avec ses réquisitions, la perpétuité a certes été infligée à Mohamed B., un très proche d’Amedy Coulibaly, présumé mort en Syrie. La Cour a aussi prononcé une peine de trente ans d’emprisonnement contre Hayat Boumeddiene, l’épouse du terroriste qui a pris la fuite en Syrie, où elle serait toujours vivante.

« Une aide logistique déterminante »

Alors que la perpétuité avait été réclamée, c’est une même peine de trente ans qui a été infligée à Ali R.P., présenté par l’accusation comme le « bras droit » du tueur de Montrouge et de l’Hyper Cacher. La Cour a estimé qu’il lui a, « de façon concrète et circonstanciée, apporté une aide logistique déterminante ». Juste après le verdict, son avocate a annoncé qu’elle ferait « évidemment » appel. Les juges ont aussi eu la main lourde (13,18 et 20 ans de prison) pour trois autres proches d’Amedy Coulibaly, ayant notamment eu des contacts répétés avec lui dans les jours précédant les attentats.

Mais un fait majeur concerne six accusés qui étaient jugés pour association de malfaiteurs en vue d’une entreprise terroriste (AMT). Très utilisée désormais, cette infraction permet de poursuivre des individus qui, sans être les auteurs directs d’un attentat, ont pu leur apporter une aide logistique en sachant que ce soutien pourrait être utilisé à des fins terroristes. Cela a été un des grands enjeux du procès pour ces six accusés, soupçonnés d’avoir cherché des armes pour Amedy Coulibaly. Les audiences ont mis en lumière des faiblesses de l’accusation car il n’est pas apparu évident que ces accusés connaissaient la radicalisation d’Amedy Coulibaly, ni le fait qu’il pouvait commettre des attentats avec ces armes.

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Au final, la cour d’assises a été sensible aux arguments de la défense en requalifiant les faits pour ces six personnes et en les condamnant pour une « association de malfaiteurs » simple, sans caractère terroriste. La Cour n’a relevé chez eux « aucune conviction ou idéologie de type radical », ni « aucune adhésion à une quelconque idéologie terroriste ayant pu motiver » leurs actions. Les peines s’appliquent en conséquence : alors que le parquet avait majoritairement demandé des peines à deux chiffres, la cour d’assises a opté pour un éventail allant de quatre à dix ans.

« Les victimes n’attendaient pas des peines lourdes coûte que coûte »

C’est donc un jugement au final équilibré qui a été rendu par des juges qui n’ont pas été, comme le craignaient certains avocats de la défense, pris au piège de l’émotion. « Ces magistrats ont su faire le tri entre les accusés. Et c’est une bonne chose, y compris pour les victimes qui n’attendaient pas des peines lourdes coûte que coûte, mais voulaient comprendre ce qui s’est passé », estime Me Claire Josserand-Schmidt, avocate de l’Association française des victimes du terrorisme.

Pour Denis Salas, ce procès témoigne aussi de « l’esprit d’indépendance » des juges de la cour d’assises spéciale. « Et surtout de l’extraordinaire intérêt démocratique du débat judiciaire à l’audience, souligne ce magistrat, qui préside l’Association française pour l’histoire de la justice. Le dossier d’instruction et les réquisitions du parquet donnaient une vérité. Mais c’est bien le débat public et contradictoire à l’audience qui a fait apparaître une autre vérité, dont la légitimité démocratique est bien plus importante. »