Non, la tectonique les plaques n’a pas encore emporté le Royaume-Uni hors de notre plateau continental. L’île de Grande-Bretagne, avec ou sans accord sur le Brexit, reste géographiquement sur la carte de l’Europe. Les liens avec l’Union européenne (UE) seront sans doute plus distants, mais pas dans tous les domaines. Sur le plan des relations internationales, de nombreux accords récents reposent sur l’axe Londres-Paris-Berlin (nucléaire iranien, protocole de Minsk sur l’Ukraine…).

Londres et Paris continueront à se concerter au sein du Conseil de sécurité. Les traités militaires de Lancaster House, signés en 2010 entre les deux seuls pays européens disposant de forces de projection expérimentées et de forces de dissuasion nucléaire, continueront de s’appliquer. Le MI5 et le MI6 vont poursuivre leur collaboration avec la DGSE française, l’un pour ses informations sur le sous-continent indien, l’autre pour sa bonne connaissance du Moyen-Orient et de l’Afrique. Les échanges commerciaux ne pourront pas s’arrêter : le royaume réalise la moitié de ses exportations comme de ses importations avec les pays de l’Union européenne.

Dans un registre plus sensible, les liens humains vont perdurer. Pour 1,3 million de Britanniques vivant dans l’UE comme pour 3,6 millions d’Européens vivant au Royaume-Uni, leur droit au séjour sera protégé en vertu de l’accord de retrait de 2019. Les voyageurs britanniques pourront continuer à venir sur le continent muni d’un visa de trois mois maximum. « Nos échanges culturels se poursuivront à travers les jumelages entre nos communes ou nos universités, à travers les séjours linguistiques et les visites touristiques », clame Alexandre Holroyd, député des Français établis hors de France, rapporteur de la mission de suivi Brexit au sein de la commission des affaires étrangères. Rien qu’en France, 1 044 communes sont jumelées avec des villes du Royaume-Uni.

Le Brexit n’a en rien découragé l’envie d’Europe parmi ceux qui nourrissaient déjà des liens avec d’autres pays, bien au contraire. Au cours des trois années qui ont suivi le référendum du 23 juin 2016, le nombre de ressortissants britanniques à épouser la citoyenneté d’un autre État membre de l’UE a crû de 500 %, et même de 2 000 % en Allemagne qui a connu 31 600 naturalisations (contre 5 000 demandes en France), selon une étude de l’université d’Oxford à Berlin et le Berlin Social Science Center, qui a croisé les données de l’OCDE et d’Eurostat. Le nombre de citoyens britanniques émigrant vers l’UE a quant à lui augmenté de 30 % pendant la période.

Au Royaume-Uni, 600 000 Français n’ont pas l’intention de revenir au pays. La moitié d’entre eux, l’équivalent de la Ville de Nantes, sont des Londoniens, précise le politologue Christian Lequesne, auteur d’une étude récente (1) sur la diaspora tricolore dans la capitale britannique. « Il n’y a pas que des cadres de la City et des profils hyperqualifiés, il y a aussi une part non négligeable de Français issus de la diversité qui viennent y chercher la flexibilité d’un marché où l’on peut faire ses preuves même sans grands diplômes, dans une ambiance cosmopolite où la discrimination au faciès est moins présente », souligne le chercheur.

Outre-Manche, des lobbys bien constitués se donnent pour mission de faire pression pour que les liens perdurent. Avant même que les discussions du Brexit ne débutent, un membre de la diaspora française, Nicolas Hatton, a réuni plusieurs citoyens d’autres pays de l’Union européenne (Allemagne, Pays-Bas, Italie, Pologne…) pour créer« The3million ». « Un paradoxe du Brexit est d’avoir permis de renforcer l’audience et les droits des Européens au Royaume-Uni », commente Christian Lequesne. Depuis quatre ans et demi, « The3million » envoie des notes aux membres de la Chambre des communes et de la Chambre des lords, organise des campagnes de communication, au besoin descend dans la rue. Le groupe d’intérêt l’a fait avant le Brexit. Il le fera après, plus que jamais.

(1) « La diaspora française de Londres à l’heure du Brexit », étude du Ceri n° 250, juillet 2020.