Moscou lance sa campagne de vaccination : prouesse scientifique ou coup de com' géopolitique ?

par Audrey PARMENTIER
Publié le 5 décembre 2020 à 22h22

Source : TF1 Info

COURSE - Samedi 5 décembre, les autorités russes ont commencé à distribuer les vaccins contre le Covid-19 dans la capitale. Certains scientifiques pensent que le pays brûle les étapes afin de remporter une compétition devenue mondiale. Qu'en est-il vraiment ?

La nouvelle a été annoncée fièrement au monde entier. La Russie a lancé sa campagne de vaccination contre le Covid-19 dans la capitale moscovite. La priorité est donnée aux professionnels les plus exposés au virus mais, aujourd'hui, dans les 70 cliniques mobilisées, toute personne entre 18 et 60 ans pouvait se faire vacciner. Une bonne nouvelle ? Les avis sont partagés. Si, dans le pays, certains affichent leur enthousiasme, la majorité reste plus sceptique : 59% des Russes confinent être réticents à se faire inoculer le sérum. "Je ne sais pas ce qu'il y a dedans, je n'y crois pas", lâche un homme au micro de TF1. En effet, le manque de transparence et d'information autour du vaccin Spoutnik V rebute une partie de la population. 

Et les Russes ne sont pas les seuls à être sceptiques quant au vaccin national. Certains scientifiques ont fait savoir leur inquiétude quant à la vitesse à laquelle le pays a donné son feu vert à la réglementation pour ses vaccins. Le gouvernement russe a lancé des vaccinations de masse avant la fin des essais complets censés vérifier leur sécurité et leur efficacité. En effet, le sérum est actuellement dans la troisième et dernière phase d'essais cliniques auprès de 40.000 volontaires. Ses créateurs ont annoncé le mois dernier un taux d'efficacité de 95%, selon des résultats provisoires.

"En tant que chercheur, je peux dire que les données sont fiables lorsqu'elles sont publiées dans des revues à comités de lecture. Or, pour l'instant, on ne dispose pas de données de phase trois pour les vaccins Spoutnik [...] On ne peut pas anticiper que, sur une population générale, avec plusieurs millions de personnes, il n'y aura pas d'effets secondaires ", explique Benjamin Davido, infectiologue à l'hôpital Raymond-Poincaré. 

La Russie a-t-elle brûlé les étapes pour faire du vaccin Spoutnik V une arme géopolitique ? "Pour le président russe, Vladimir Poutine, obtenir le vaccin en premier représente un coup de com", estime Bertrand Badie, professeur émérite des universités de Science Po, spécialiste des relations internationales. Le lancement de la campagne de vaccination constitue une victoire politique pour le chef d'Etat russe qui voit ces dernières semaines sa cote de popularité en berne. "Derrière la crise sanitaire, la situation économique s'est aussi aggravée en Russie", reprend le politiste. Il faut dire que le pays a été durement touché par l'épidémie mondiale. Selon le gouvernement national, dont les chiffres sont relayés par l’université Johns-Hopkins, un peu plus de 33.000 personnes sont décédées du coronavirus, tandis que 1,9 million de cas ont été recensés dans le pays au 16 novembre. 

Un instrument de compétition politique
Bertrand Badie, professeur émerite des université de Science-Po

Précipitation rime ainsi avec compétition. La Russie voulait être le premier, mais ce n'est pas la seule. Mercredi 2 décembre, le Royaume-Uni a été le premier pays au monde à autoriser le vaccin Pfizer-BioNTech. Trouver le précieux sérum s'est transformé en une véritable course planétaire faisant ainsi de la gestion de l'épidémie "un instrument de compétition politique", observe Bertrand Badie, qui constae que les États se sont lancés dans une course poursuite en nationalisant un problème pourtant mondial. Parmi les objectifs affichés par ces pays en compétition, le spécialiste cite "un 'impératif de prestige", un sentiment  de fierté qu'il compare à celui que l'on peut ressentir en participant aux Jeux Olympiques. 

Face à cette mise en concurrence mondiale, le directeur général de l'Organisation mondial de la santé (OMS), Tedros Adhanom Ghebreyesus, a déclaré, vendredi 4 décembre, que les riches ne doivent pas "piétiner" les pauvres dans la course au vaccin contre le Covid-19. "C’est une crise mondiale et les solutions doivent être distribuées comme des biens publics mondiaux, pas comme des propriétés privées qui creusent les inégalités", a-t-il déclaré. Un avis que partage Bertrand Badie qui conclut : "Les pays ne comprennent pas une chose importante : pour vaincre le virus chez eux, les autres doivent gagner en même temps."


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