Il a le visage un peu crispé, hiératique. Autour de lui, la foule en jaune est agenouillée, les mains jointes à la hauteur du front. Tandis qu’il déambule lentement, dans son uniforme blanc bardé des plus hautes distinctions, la reine toute de soie vêtue à son bras, les plus hardis de ses adorateurs tentent de lui toucher les pieds, en répétant calmement «vive le roi, vive le roi», à la manière d’un mantra. Et soudain, l’impensable. Surgissent deux journalistes britanniques encravatés de jaune, caméra au poing. Nerveux, les reporters free-lance brandissent un ancien logo de CNN pour se donner un peu de courage et de légitimité : «Votre Majesté, monsieur, que pensez-vous des manifestants qui demandent une réforme ?» D’abord incrédule, l’intouchable souverain Rama X s’arrête quelques secondes, le temps de prendre acte de ce qui vient de se passer : il est tombé dans une interview embuscade, en pleine rue à Bangkok, lui qui n’a quasiment pas parlé à la presse depuis les années 80. A ses côtés, la reine sourit d’un air affolé, la princesse Sirivannavari fait de grands gestes pour signifier son indignation.
«Mouton noir»
Finalement il s'en sort plutôt bien. Royal, paternel : «Nous les aimons tous pareil», répète-t-il plusieurs fois, avant d'assurer que «la Thaïlande est le pays du compromis». La scène qui a eu lieu début novembre aurait été inimaginable jusqu'à peu et démontre l'impact qu'ont eu les manifestations de la jeunesse qui agitent le pays depuis quelques mo