D’Abuja à Manille : la loi du bad cop : épisode • 3/4 du podcast Polices !

Un policier de la SARS monte la garde, au quartier général de la police à Jos, Nigeria, le 10 mars 2010. ©AFP - PIUS UTOMI EKPEI
Un policier de la SARS monte la garde, au quartier général de la police à Jos, Nigeria, le 10 mars 2010. ©AFP - PIUS UTOMI EKPEI
Un policier de la SARS monte la garde, au quartier général de la police à Jos, Nigeria, le 10 mars 2010. ©AFP - PIUS UTOMI EKPEI
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Comment la police peut-elle devenir une véritable entreprise criminelle ? C'est une question qui se pose aujourd'hui au Nigéria, où une brigade de répression des vols abuse de son pouvoir pour vandaliser la population, mais aussi aux Philippines, où les violences policières sont assumées par l’Etat.

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Dans un mouvement de protestation inédit, de nombreux citoyens sont descendus dans la rue au Nigéria pour dénoncer les pratiques de la police nigériane. En ligne de mire des manifestants : les SARS (Special Anti-Robbery Squad), une brigade de répression des vols tristement réputée pour ses exactions et sa violence.

En effet, en 2016, un rapport d’Amnesty International dénonçait déjà les actes de détention arbitraire, de torture, de viols et même d’exécutions extra-judiciaires dont cette unité de police serait responsable. Semblant répondre à la colère, le président Muhammad Buhari annonçait le 11 octobre la dissolution des SARS, mais aussi une vaste réforme du système sécuritaire du pays. Néanmoins, dix jours plus tard, dans la ville de Lekki - dans le sud du pays - militaires et policiers tiraient à balles réelles sur des manifestants, faisant au moins 12 morts, selon Amnesty International.

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Comment, dès lors, restaurer la confiance, en particulier dans un climat d’insécurité généralisé provoqué notamment par la présence de Boko Haram, ce groupe djihadiste qui a revendiqué, cette semaine, l’enlèvement de centaines de lycéens dans l’Etat de Katsina, à l’ouest du pays, mais aussi par l’armée, qui alimente ce cycle de violence ?

Quelles sont les racines de la violence des institutions policières – et militaires - au Nigéria ? Comment une unité de police, censée protéger sa population, en vient à basculer dans les activités criminelles ? Le gouvernement a-t-il perdu le contrôle de ses forces de l’ordre ou bien laisse-t-il faire ? Pourquoi l’état nigérian échoue à réformer son système sécuritaire ? Enfin, le mouvement « End SARS » signe-t-il le réveil de la société nigériane contre l’impunité et la violence généralisée ? 

Une discussion en compagnie de Marc-Antoine Pérouse de Montclos, directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le développement, et de Laurent Fourchard, directeur de recherche au CERI - Sciences Po et ancien directeur de l’IFRA (l’Institut Français de Recherche en Afrique) au Nigéria (2000-2003).  

Au Nigéria, on voit qu'au quotidien c'est la police qui va commettre des exécutions extra-judiciaires. En revanche, quand l'armée intervient, elle tuera beaucoup plus, vu qu'elle utilise des armes de guerre. Et c'est un phénomène que l'on observe depuis longtemps. Marc-Antoine Pérouse de Montclos

Je suis assez dubitatif quant à la capacité de réforme de la police au Nigéria, aujourd'hui. Cela fait déjà plusieurs années que le gouvernement annonce qu'il va dissoudre les SARS - ce qui n'a pas été le cas. J'ai le sentiment que les manifestations anti-SARS sont le signe d'une demande de la fin de l'impunité, à la fois de celle des forces de sécurité et de celle de la classe dirigeante. La SARS est le pic de l'iceberg. Marc-Antoine Pérouse de Montclos

La réforme qui visait à rendre les SARS "plus acceptables" consistait à établir un bureau dédié au dépôt des plaintes pour des crimes contre les droits de l'Homme, à imposer aux SARS à retourner à leur mandat initial - la lutte contre le kidnapping et le banditisme armé - et à les faire rendre compte de leurs actions au Ministre de la Police de chaque Etat. Cette réforme n'a été appliquée dans aucun de ces cas, en dépit de ce qui était annoncé à l'échelle fédérale. Laurent Fourchard

Dans la chronologie de Boko Haram, il y a une progression assez significative du groupe de 2009 à 2015. Au moment où Buhari prend le pouvoir, en 2015, Boko Haram a déjà commencé à reculer significativement, et aujourd'hui il ne tient plus les villes de l'Etat du Borno. On ne sait pas si l'attentat du 15 décembre est le signe d'une résurgence de Boko Haram ou du banditisme rural. Laurent Fourchard

Seconde partie - le focus du jour

Philippines : des violences policières cautionnées par l’Etat

Le 1er avril 2020, Rodrigo Duterte, président des Philippines, ordonnait à ses policiers d'abattre ceux qui "perturberaient" le couvre-feu sanitaire, après que la population d’un bidonville a manifesté, n’ayant pas reçu d’aide alimentaire pendant plus de deux semaines. 

Mais la violence de la police philippine fait partie intégrante du paysage politique de l’archipel depuis bien plus longtemps que les débuts de la crise sanitaire ; c’est un pouvoir dont la légitimité est constamment nourrie par des discours de terreur qui constituent d’ailleurs le fonds de commerce de Rodrigo Duterte, chef d’Etat dont les discours comme les actes ont la réputation sulfureuse.

Comment expliquer cette culture politique de la violence aux Philippines ? Quelles y sont les dérives des policiers ? Comment le président Duterte se justifie-t-il de ces exactions ?

Avec Sophie Boisseau du Rocher, docteur en sciences politiques, chercheuse affiliée à l'IFRI, et spécialiste de l'Asie du Sud-Est.

On a aujourd'hui, aux Philippines, une police qui n'est pas là pour protéger ses concitoyens, mais qui est là pour faire régner un ordre  relativement arbitraire et subjectif. Sophie Boisseau du Rocher

Le président philippin Rodrigo Duterte tient un fusil de sniper en compagnie du chef sortant de la police nationale philippine (PNP) Ronald de la Rosa lors de la cérémonie de passation de commandement, à Manille, le 19 avril 2018.
Le président philippin Rodrigo Duterte tient un fusil de sniper en compagnie du chef sortant de la police nationale philippine (PNP) Ronald de la Rosa lors de la cérémonie de passation de commandement, à Manille, le 19 avril 2018.
© AFP - NOEL CELIS

Réferences sonores

  • Une manifestante nigériane s’exprime sur les violences des SARS (TV5 Monde, 11 octobre 2020)
  • Annonce par le président nigérian Muhammed Buhari de la dissolution des SARS (The Guardian, 12 octobre 2020)
  • Des manifestants nigérians expliquent pourquoi il faut mettre un terme aux agissements des SARS (BBC, 12 octobre 2020)
  • Umar Bello, père d’un enfant enlevé par Boko Haram suppliait hier le gouvernement pour qu’il retrouve les collégiens enlevés.
  • Oby Ezkwesili, organisatrice du mouvement « Bring Back our Girls » qui accuse ce même gouvernement de n’avoir rien fait pour assurer la protection de ces enfants (France 24, 15 décembre 2020)
  • En avril dernier, Rodrigo Duterte s’exprimait après qu’un groupe de personnes a été arrêté à Manille parce qu’ils sont enfreint le couvre-feu (CNA, 02 avril 2020)

Références musicales

  • « Township Funk » de Dj Mujava (Label : Warp)
  • « Your enemy » de Made Kuti (Label : Partisan records)

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