Des pancartes « Boers lives matter » (« les vies des Boers comptent ») devant des voitures de police brûlées. En Afrique du Sud, le meurtre d’un fermier blanc de 21 ans, vendredi 2 octobre, a réveillé la haine raciale dans ce pays en convalescence de l’apartheid. Samedi 10 octobre, des agriculteurs blancs armés ont tenté de pénétrer dans la cour de justice à Senekal, ville du Free State (centre), pour attraper les deux suspects noirs qui ont été arrêtés.

Le président sud-africain, Cyril Ramaphosa, a tenté de pacifier la situation, en appelant au calme lundi 12 octobre. Selon AfriForum, un groupe défendant les intérêts de la minorité blanche, 292 attaques de ce type ont été recensées cette année, dont 38 meurtres.

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« Depuis 1994, un total de 2 000 fermiers blancs a été assassiné. Mais ce chiffre est dérisoire quand on voit qu’il y a 21 000 homicides par an en Afrique du Sud. Globalement, la minorité blanche reste mieux protégée que la majorité noire qui est davantage victime de violences », tempère Laurent Fourchard, directeur de recherche au CERI-Sciences-Po.

« Moins de 20 % des terres ont été redistribuées »

Ces tensions racialesmettent en lumière la question historique de la distribution inégale des terres dans le pays. Actuellement, près des trois-quatre des terrains reste aux mains de la communauté blanche – représentant moins de 10 % de la population. Une répartition qui a très peu évolué depuis la fin de l’apartheid en 1994.

« Pour comprendre cela, il faut revenir à l’accord entre le dernier président blanc Frederik Willem de Klerk et son successeur Nelson Mandela, en 1994. Ils ne souhaitaient pas toucher à la redistribution foncière pour rassurer la minorité blanche, dont ils avaient besoin à l’époque », informe Laurent Fourchard.

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Plus de vingt-cinq ans après, l’ex-compagnon de route de Nelson Mandela s’inscrit dans la droite ligne de son prédécesseur. « Il y a actuellement une commission qui s’occupe de cette question de réappropriation des terres mais elle a très peu de voix et elle a redistribué moins de 20 % des terres depuis 1994 », rapporte le spécialiste. Pourtant, lors de son arrivée au pouvoir en 2018, Cyril Ramaphosa avait promis d’accélérer leur redistribution, pour combattre les inégalités héritées de l’apartheid.

Des mesures timides en faveur de l’expropriation des terres

Dimanche 11 octobre, le chef de l’État a dévoilé des mesures timides, dans le cadre de sa future loi sur l’expropriation des terres. Le texte prévoit la location de 700 000 hectares de terres agricoles à des fermiers noirs. « Un chiffre dérisoire pour ce pays aussi grand que la France », commente l’expert.

La semaine dernière, le gouvernement sud-africain a aussi annoncé la proposition des baux de trente ans sur des terres sous-utilisées ou libres à condition que les loueurs s’engagent à les utiliser à des fins agricoles. « C’est difficile de revenir sur la question de la redistribution foncière, le président craint que cela ravive des tensions », continue Laurent Fourchard.

Cette question de l’expropriation des terres ne manque pas d’être instrumentalisée par certains partis politiques, à l’instar de la formation radicale Economic Freedom Fighters (EFF). Son fondateur est Julius Malema, exclu du parti au pouvoir de l’ANC en 2013 pour incitation à la haine. Pour capter un électorat plus large, le parti populiste a choisi de surfer sur les tensions raciales et prône une redistribution massive des terres. « Ils rassemblent entre 5 et 10 % des voix, en Afrique du Sud, estime l’expert, pour eux, la question des terres constitue un symbole important pour gagner des voix. »