POLITIQUE - Il s’impose sur tous les fronts. En seulement quelques semaines, Emmanuel Macron s’est positionné de manière franche, voire musclée, au cœur des discussions dans plusieurs dossiers brûlants à l’international. Formation d’un gouvernement réformateur au Liban, médiation de la crise politique en Biélorussie, appel au cessez-le-feu au Haut-Karabakh... Après un été marqué par l’assassinat de six humanitaires français au Niger et deux visites du chef de l’État à Beyrouth, ravagée par l’explosion mortelle dans le port, le président a encore la tête aux affaires étrangères.
Au-delà de l’emploi du temps d’Emmanuel Macron, c’est surtout son style qui est remarqué. Car le chef de l’État parle sans ambages, se fâche parfois.
“Il est clair que (Alexandre) Loukachenko doit partir”, affirme-t-il ainsi dans un entretien au Journal du dimanche ce 27 septembre, au sujet du président biélorusse dont la réélection est contestée dans la rue. “Ce qui se passe en Biélorussie, c’est une crise de pouvoir, un pouvoir autoritaire qui n’arrive pas à accepter la logique de la démocratie et qui s’accroche par la force”.
Le soir même, interrogé par une journaliste lors d’une conférence de presse convoquée à la hâte à l’Élysée, le président dit avoir “honte” pour les dirigeants politiques libanais, après le renoncement du Premier ministre désigné Moustapha Adib, incapable de former un gouvernement à cause de querelles politiciennes sur les portefeuilles. “Quelques dizaines de personnes sont en train de faire tomber un pays”, fustige-t-il sur un ton grave, parlant de “trahison collective”.
“Secouer le cocotier”
“Emmanuel Macron a été effectivement particulièrement audacieux”, observe dans un sourire le professeur à Sciences Po et spécialiste des relations internationales Christian Lequesne, joint par Le HuffPost. Ces propos cash sont selon lui “liés à la personnalité” du président de la République.
“Je crois qu’il a décidé de l’assumer et qu’il n’a pas envie de forcer sa nature, car il pense qu’un homme politique doit secouer le cocotier, quitte à ce que des diplomates calment le jeu ensuite”, analyse le chercheur.
Les déclarations d’Emmanuel Macron sont en tout cas assumées par l’Élysée, qui confirme que le chef de l’État “n’a pas la main qui tremble” en matière de diplomatie. “Le président a une méthode en termes de politique étrangère qui n’a pas varié depuis le début de son quinquennat: il parle directement et franchement avec ses interlocuteurs”, explique le palais au Parisien.
Pour Stéphanie Baz, consultante en communication politique et autrice franco-libanaise, les dirigeants du pays du Cèdre “ont besoin d’un électrochoc”. “Ils sont tellement corrompus jusqu’au bout des ongles qu’ils ne changent rien depuis des années. Si Emmanuel Macron ne le dit pas, qui va le dire?”, s’interrogeait-elle dans un précédent article du HuffPost à ce sujet.
La méthode a toutefois ses limites. “Quand on est président, il faut faire attention à ce que l’on dit, car on peut instrumentaliser votre discours”, poursuit Christian Lequesne, en rappelant les mots d’Emmanuel Macron qui, l’année dernière, avait jugé l’Otan “en état de mort cérébrale”. “Quand un universitaire le dit c’est une chose, mais quand un président le dit, c’en est une autre”, constate-t-il.
S’il a pris soin de ne pas fermer les portes de la négociation, le chef du mouvement chiite Hezbollah, parti qui a entravé par ses revendications la formation d’un nouveau gouvernement au Liban, a d’ailleurs condamné mardi le “comportement condescendant” du président français lors de sa conférence de presse. Réveillant au passage les soupçons d’ingérence (le pays a été sous mandat français entre 1920 à 1943) formulés dès l’été par une partie de la classe politique française.
“Mais un grand nombre de Libanais estime aussi qu’il dit la vérité, souligne Christian Lequesne. Et on ne peut pas lui reprocher de dire des choses justes.”
Une stratégie plus large de défense européenne
Pour le professeur, ce style “fait partie de la stratégie politique” du président, car “le discours est une composante à part entière de l’action”.
Cette séquence internationale d’Emmanuel Macron s’inscrit en fait, selon le conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique (FRS) de Paris, François Heisbourg, dans un “cadre stratégique plus large”: celui de la “sécurité et de la défense des pays membres de l’Union européenne”, “boussole française depuis 4 ans, avant l’élection présidentielle”.
Car au-delà de sa rencontre à Vilnius avec l’opposante bélarusse Svetlana Tikhanovskaïa, Emmanuel Macron s’est rendu, lors de son voyage en Lituanie, sur la base militaire de Rukla, à la rencontre de 1200 soldats de l’Otan dont 300 Français. “Merci de protéger nos frontières communes. À ces frontières de notre Europe, les risques sont grands, l’actualité le montre encore”, leur a-t-il lancé, faisant allusion aux tensions avec la Russie.
Et si les échanges sont tendus avec Moscou au sujet de la Biélorussie, Emmanuel Macron et Vladimir Poutine, accompagnés de Donald Trump, ont appelé jeudi dans un communiqué commun à “la cessation immédiate des hostilités” au Haut-Karabakh, territoire azerbaïdjanais séparatiste soutenu par l’Arménie. “Ce n’est pas une petite chose”, souligne François Heisbourg auprès du HuffPost.
Le dossier libanais, lui, “entre dans le champ plus large de la politique française en Méditerranée”, estime l’analyste, tout comme le soutien apporté dès juillet à la Grèce et Chypre face à la Turquie dans le conflit autour de gisements d’hydrocarbures.
Il faut donc voir dans cette séquence une double stratégie: des “actions bilatérales”, mais aussi “un volet européen”, selon François Heisbourg.
Présent à l’extérieur, absent à l’intérieur?
Cette hyperactivité d’Emmanuel Macron à l’étranger s’inscrit par ailleurs, selon le chercheur Christian Lequesne, “dans la tradition de ses prédécesseurs” de la Ve République qui, ”à partir de la moitié de leur mandat, commencent à s’intéresser à la politique étrangère”. “Pour un président, c’est un facteur très valorisant, qui entre dans l’idée que la France a quelque chose à dire sur la scène internationale. Mais le président a aussi des pouvoirs: il ratifie des traités, participe à des sommets internationaux”, explique le spécialiste.
“Emmanuel Macron est un homme plutôt intellectuel. Les grandes affaires du monde, les grands équilibres, les enjeux stratégiques l’intéressent beaucoup”, décrypte-t-il aussi.
De là à se dérober sur les affaires intérieures? L’absence de réaction publique du chef de l’État à l’attaque au hachoir le 25 septembre devant les anciens locaux de Charlie Hebdo, à Paris, a été remarquée. “Le président de la République n’a pas vocation à commenter mais à agir”, a-t-il rétorqué. Pas de quoi calmer un député LREM interrogé par Le Parisien: “N’empêche qu’il a été plus rapide quand il a fallu s’indigner de la situation au Liban”. “Si seulement il était aussi tranchant et sûr de lui sur les retraites, la laïcité, la sécurité”, que sur les dossiers étrangers”, lance un autre parlementaire.
Mais “dans la Ve République, pour le traitement des questions de politique interne, il y a un Premier ministre, qui lui n’a pas vocation à faire de politique internationale, sauf européenne”, tempère Christian Lequesne. “On peut donc se dire qu’il y a une sorte de répartition des tâches assez visible, où Emmanuel Macron s’occupe de l’international et Jean Castex, qui incarne complètement la relation avec les territoires, du coronavirus”, analyse-t-il.
Pas de quoi, selon lui, attaquer l’image du président auprès de l’opinion publique. “Les Français dans le fond aiment que l’on existe sur le plan international”, constate le chercheur au Centre de recherches internationales (CERI) de Sciences Po.
“Les grandes manœuvres de la présidentielle n’ont pas commencé, et la crise du coronavirus est loin d’être terminée, prédit François Heisbourg. Emmanuel Macron va devoir s’y investir lourdement. Raison de plus pour faire ce qu’il fait à l’international maintenant”.
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